Pourquoi passer du “tu laisses” au chien mignon qui vient poquer la jambe ?
Ou pourquoi la désignation marche mieux que le simple “tu laisses” (pour Yopp) ?
Pour vous remettre dans le contexte, depuis le 1er jour où j’ai eu Yopp, j’ai su qu’il allait être lourdingue avec la nourriture trouvée en balade ou chez les gens. A 4 mois il quittait déjà le groupe pour escalader seul la montagne parce qu’il avait senti des miettes de pain à 300 mètres. Sur une balade de 30 minutes, il pouvait facilement trouver une trentaine de trucs à manger (oui, j’habite en environnement de parc urbain particulièrement propice aux bouts de pain pour les oiseaux, restes de pique-nique, restes de repas en bas des immeubles etc).
Sa nature de base, plus le contexte de vie qui lui permet de se récompenser plusieurs fois par jour, en ont fait un dénicheur de bouffe hors pair.
Il a aujourd’hui 8 ans, et il est légendairement connu pour son adresse à « piquer » des trucs (dans sa tête, il ne pique pas, il se sert, tout simplement). Et j’en ai essayé, des choses ! Il a bien sûr un magnifique « tu laisses » sur commande, il a aussi un très bon auto-contrôle sur la nourriture que je pose au sol, il a appris à me rapporter la nourriture quand elle est rapportable (mais ça ne marche pas pour le vomi, les nouilles, les biscuits écrasés, les crottes de chats, et tout ce qui se gobe…)
En 8 ans, je suis passée de 30 trucs par jour bouffés à un ou deux, voir trois ou quatre, ce qui est pas mal ! Mais c’est uniquement grâce à ma vigilance. Malgré toutes mes tentatives pour le récompenser quand il laisse de lui- même, pour gérer l’environnement en le tenant en longe ou encréant des scénarios pour l’entraîner, il n’a jamais été autonome. Si je dis laisse, il laisse sans problème. Si je ne dis rien, il mange sans aucun complexe, même sous mes yeux (sauf si je viens de poser le truc, là bien sûr il sait qu’il ne doit pas manger). J’ai bien essayé de me fâcher, mais tout ce que j’obtenais, c’était un chien qui avalait plus vite, me fuyait ou sursautait au moindre de mes mouvements, qui marchait toute la balade « cul serré » de peur de se faire « engueuler »… Pas du tout la relation que j’ai envie d’avoir avec mon chien !
Et puis un jour il y a eu le stage de trop. Celui où il m’a carrément empêchée de travailler tellement il était à l’affût de tout, où il montait sur les tables sous nos yeux sans vergogne, où il était impossible de le lâcher, où malgré mes remontrances, il n’avait qu’une seule obsession en tête : faire les poches, les pochettes, les sacs, les en-cas sur les tables, les voitures…
J’ai commencé à me dire qu’il allait falloir que je gère mieux qu’en me contenant de l’attacher, ou de récompenser quand il laisse, ou même de le gronder quand il ne laisse pas. Bref, faire plus que ce qu’on fait avec un chien « classique ».
Je me suis posé la question : qu’est-ce qu’on peut faire quand on veut éviter un comportement (là encore, la punition n’a pas d’effet sur lui pour ça, ou alors il faudrait vraiment que j’y aille très fort, ce que je ne veux pas) ? On lui apprend un comportement incompatible ! Si je ne veux pas que mon chien saute sur les gens, je peux lui apprendre à s’asseoir devant les gens. Si je ne veux pas qu’il bouscule les gens qui entre chez moi, je peux lui apprendre à aller à sa place etc.
J’ai donc commencé à me dire que j’allais pouvoir lui apprendre à s’asseoir quand il sent un truc à manger. Et j’ai fait quelques essais. Je mets un truc à manger accessible, je lui demande de s’asseoir, je récompense… Le hic, c’est qu’il n’aime pas vraiment s’asseoir sur commande. Ca n’est vraiment pas automatique pour lui. Donc, laisser + s’asseoir, c’était trop lui demander. J’ai laissé tomber pendant quelques mois.
Et puis d’un coup, je ne sais pas pourquoi, sûrement après un énième « vol » de truc en stage, j’y ai repensé. Et j’ai trouvé un comportement incompatible qu’il aimait faire : me poquer la jambe.
Ca y est, j’ai ma base de travail, reste plus qu’à mettre en place mon plan d’action. Que je vous livre aujourd’hui.
Ci-dessous en vidéo, un de mes premiers essais de phase 2 dans la vraie vie, mais avec contrôle de la longe, et je dois lui rappeler de faire “toctoc ” (je dis “qu’est-ce qu’on fait ?”)
Phase 0 : les pré-requis
– Le 1er pré-requis est un chien qui sait cogiter et un maître assez affûté en matière d’apprentissage (et persévérant !!)
– Evidemment, pour que ça marche, le chien doit avoir déjà un bon auto-contrôle (je dois pouvoir poser de la nourriture devant lui sans qu’il se jette dessus et sans dire “laisse”). Je ne vous détaillerai pas cette étape. C’est la base, vous trouverez sans doute plein de tuto sur internet.
– Il doit aussi avoir bien compris le mot « laisse » qui veut dire pour moi, soit ne touche pas, soit crache si tu as déjà quelque chose en gueule. Pareil, je vous laisse chercher des tuto sur internet.
– J’ai choisi qu’il me poque la jambe, c’est un comportement qu’il sait déjà faire sur signal (je dis « toctoc »). Ca lui vient facilement et il s’en souvient bien. C’est important de choisir un comportement facile et agréable pour le chien ! Pour le lui apprendre, je lui ai d’abord appris à toucher ma main (là aussi vous trouverez des tuto), puis à toucher un post-it dans ma main, puis j’ai éloigné le post-it de ma main très progressivement, puis je l’ai collé sur ma jambe, puis je l’ai enlevé, et enfin j’ai appelé ce comportement « toctoc ». En vrai, ça a dû me prendre 5 minutes, parce qu’il savait déjà très bien toucher n’importe quoi avec le nez. Mais selon vos bases ça peut aussi vous prendre 1 semaine. Comme je dis toujours « ça m’a pris 5 minutes… plus 2 ans de pré-requis » lol.
Phase 1 : pour de faux
Afin de lui apprendre ce que j’attendais de lui, je me suis servi des pré-requis de « pas toucher » par défaut quand je pose un truc au sol. Donc, je mets un sac fermé avec de la nourriture dedans au sol (il ne peut pas se servir seul). Je suis chez moi pour que ça soit encore plus facile. Au cas où, je tiens Yopp en laisse. Comme prévu, il sent que c’est un exercice et il n’y va pas. Il regarde le sac, puis me regarde, et là je dis « toctoc ». Il touche ma jambe. Yes ! Je félicite oralement et je lui donne une récompense. Il voit la bouffe, il me regarde, je dis toctoc. Petit à petit, il apprend que “toctoc” suit toujours la bouffe au sol.
Je refais ça avec plein de sorte de nourritures, dans plein d’endroits, d’abord chez moi, puis dehors. Pour l’instant, il voit que c’est moi qui pose la bouffe. Il est en laisse ou pas, selon les contextes. Je veux qu’il puisse laisser sans que je dise « laisse », donc au pire je bloque avec la longe.
Phase 2 : presque la vraie vie
Une fois que j’ai ce comportement systématique avec des « leurres» en exercice (de la nourriture que j’ai moi-même déposée), je vais l’exporter en balade. J’emporte un bout de pain ou à manger dans un sac, je le dépose sans qu’il ne le voie, et quelques minutes plus tard je passe par là, en longe. Je suis préparée, car je sais qu’il y a à manger là. Yopp veut se jeter dessus. Je bloque avec ma longe. Il laisse, me regarde, là je dis toctoc et je félicite chaleureusement, je récompense en lui donnant le truc qu’il a laissé.
Phase 3 : dans la vraie vie
Une fois qu’il ne se jette plus sur les “leurres”, je commence à le travailler dans la vraie vie. Je connais assez bien les endroits où il y a de la bouffe. Je suis à l’affût autant que lui. Et je mets aussi un ou deux « leurres» sur mon parcours. Je dois être très attentive. Tant qu’il renifle, je laisse faire, dès qu’il s’apprête à manger, je le bloque avec la longe ou je me signale en faisant un raclement de gorge, un bruit quelconque pour le stopper, et je lui demande toctoc, puis je récompense si possible avec ce qu’il a trouvé.
Petit à petit, je me rends compte qu’il anticipe et laisse de plus en plus souvent avant d’être bloqué, je n’ai plus besoin de demander « toctoc » tout le temps, il commence à me le proposer tout seul. J’obtiens la chaîne « je vois de la bouffe – je laisse – je vais faire toctoc -je suis récompensé.”
Je me débrouille pour être le plus souvent possible en réussite, même s’il y a parfois des ratés.
Phase 4 : pause !
Cet apprentissage est très exigeant. Il me demande d’être à 2000 % attentive en balade, alors que j’ai Yéti à gérer aussi, et il demande aussi beaucoup de concentration à Yopp. Parfois, j’ai toute une série de ratés. Il se jette comme un fou sur la bouffe, comme si on n’avait jamais fait l’exercice.
Je sais alors qu’il est grand temps de faire une pause. Je me débrouille pour aller à des endroits où il ne trouvera pas de bouffe, ou je le tiens en laisse, et je ne lui demande rien pendant au moins 24h.
Phase 5 : généralisation
C’est pour Yopp la phase la plus dure. Pour l’instant il n’a pas généralisé. Il commence à avoir de belles réussites dans mon quartier, et sur un certain type de nourriture (gros bouts de pain, sachets de boulangerie…), mais dès qu’on va ailleurs, il ne fait pas le lien et reprend son habitude. Ailleurs, c’est aussi plus dur parce que je ne connais pas les « spots de bouffe », il me sent moins prête. Je mets quelques pièges, mais il a maintenant compris que s’il y a mon odeur sur de la nourriture, il ne faut pas la manger, donc les pièges marchent « trop bien ».
Cette phase va prendre très longtemps et me demandera beaucoup de patience et de persévérance. La persévérance, j’en ai à revendre. La patience… ma foi c’est une bonne école.
En tous cas, il n’est pas encore arrivé, le jour où je pourrai faire un stage tranquille avec Yopp en liberté qui vient me poquer au lieu de chiper dans vos pochettes !
Je le sais, tout apprentissage est très long, surtout quand on joue sur un instinct longtemps renforcé.
EN RESUME
- Apprendre les auto-contrôles de base
- Apprendre à toucher la jambe (ou une autre désignation comme assis, couché etc.)
- Présenter de la nourriture inaccessible et demander de toucher la jambe (sécuriser en laisse si besoin)
- Présenter de la nourriture accessible et demander de toucher la jambe (sécuriser en laisse si besoin)
- Présenter de la nourriture et attendre qu’il touche la jambe de lui-même (sécuriser en laisse si besoin)
- Exporter ce comportement dehors en mêlant vraies stimulations et leurres
- Généraliser à tous les endroits et tous les types de nourriture
Quels problèmes peuvent se poser ?
- Parfois, je me fais avoir, il mange quand même. A ce moment là, je râlotte (désolée, c’est ma nature), je le remets en laisse pour ne pas me faire avoir une deuxième fois. Idéalement, je retourne vers le truc à manger et je lui demande toctoc.
- Parfois, il n’a pas de longe et je vois bien qu’il va manger le truc. Juste avant, je peux utiliser mon « tu laisses », ou plus volontiers faire un bruit genre « haaan ! » ou « hmmm hmmm », un raclement de gorge ou taper du pied… Ca lui rappelle que je suis là, mais il doit quand même trouver la solution lui-même. Je le fais le moins possible car le but est de travailler son indépendance. Mais quand il faut, il faut !
- Parfois, il ne fait pas toctoc de lui-même, je dois le lui demander
- Parfois, je ne peux pas récompenser avec ce qu’il a trouvé parce que c’est dégueu ou toxique. J’ai alors en poche des super méga récompenses et je lui en lance plein en faisant vraiment la fête.
- Parfois, mes nerfs lâchent (parce que oui, c’est épuisant et démoralisant). Alors je fais un break, on a tous besoin d’une pause…
- Rappelez-vous que la base est un excellent auto-contrôle au moins en situation de travail/d’exercice. Si ça n’est pas acquis, reprenez l’exercice d’auto-contrôle de base (bouffe au sol, le chien laisse). Faites régulièrement des retours en arrière.
Pour finir, vous l’aurez compris, cet apprentissage est à la fois simple et terriblement complexe.
Simple, parce qu’il s’agit “simplement” de mettre un nouveau signal sur le comportement de poquer la jambe. Au lieu que le signal soit “toctoc”, le signal devient “il y a de la bouffe au sol”.
Terriblement complexe parce qu’il nécessite un grand auto-contrôle de la part du chien, une grosse capacité à généraliser (car “la nourriture”, ça ne veut rien dire, il va falloir qu’il apprenne ça sur tous types de nourriture. Pas que le pain. Ou pas que les sacs…). Il va aussi falloir généraliser à tous les endroits.
Cela nécessitera de notre part une attention extrême. Une capacité à lire le chien et à respecter son rythme d’apprentissage, à faire des pauses régulièrement, à savoir quand et pourquoi on lui demande trop.
Une capacité aussi à accepter l’échec et la déception, à maîtriser nos émotions, à persévérer pendant des semaines et des mois, sans pour autant en faire une fixette qui mettrait la pression à tout le monde.
Bref, je n’ai qu’un mot à nous dire : je nous souhaite bon courage ! Mais ça va marcher !