J’ai un autre sujet un peu délicat à aborder, aujourd’hui. Encore une fois, je prends le risque de ne pas montrer que mes réussites. Parce que les non-réussites ne sont pas forcément des erreurs, encore moins des fautes, ce sont juste les pierres du chemin qui nous permettent d’avancer. Et parce que si je rencontre des difficultés, je pense sincèrement ne pas être la seule !

Aujourd’hui je voudrais parler du medical training, et plus particulièrement des soins coopératifs (les soins coopératifs, ça consiste à apprendre au chien à nous donner son go pour débuter les soins et nous dire quand il veut une pause. Voir l’article sur le sujet). Depuis que j’ai vraiment commencé à m’y mettre, aux alentours de 2013 je pense, je suis une adepte de cette philosophie qui redonne un peu de pouvoir, et donc de confiance, au chien. J’ai beaucoup évolué en 10 ans. Je me forme. J’ai créé un des premiers cours en ligne sur le sujet en France, j’ai suivi et animé des formations, je suis certifiée soins vétérinaires low stress et FearFree.

Je pense avoir beaucoup planché sur ce sujet passionnant, depuis bien des années.

Ci-dessous, une vidéo de Yopp à 8 mois, en soins coopératifs.

Je vais vous évoquer mon expérience, parce que c’est celle que je connais le mieux, et aussi parce qu’elle doit pouvoir vous parler…

Yopp, depuis chiot, est entraîné en medical training et soins coopératifs. C’était vraiment une nécessité, car c’est un chien à fleur de peau. Il a 7 ans et demi d’entraînement dans les pattes, et nous avons réussi à faire vraiment de jolies choses avec ce petit chien d’une grande sensibilité. Les soins coopératifs nous ont permis de construire une solide relation de confiance, et aussi de travailler sa résilience. Il est capable, même s’il a eu peur, de revenir continuer ses soins. On a pu faire des radio sans anesthésie alors que ça n’était pas du tout gagné. Chez le véto, il est nerveux, mais tolérant. Je suis très fière de lui (et aussi de moi, car nous avons travaillé dur) !

Ici un entraînement réussi !

Et pourtant… Et pourtant, cela reste souvent difficile. Yopp n’est et ne sera jamais une « pâte » à soigner (jamais ou extrêmement rarement dans l’agression, mais volontiers dans la fuite). Parfois, je ne peux pas demander son consentement, tout simplement parce qu’il ne me le donnerait pas.

 

Petit aparté de “pop neuroscience” (bien sûr, je ne suis pas une neuroscientifique, je ne fais que retransmettre des informations vulgarisées et sans doute incomplètes !) :

 

Chez le vétérinaire, l’émotion (un mélange d’excitation et de stress pour Yopp) fait que les apprentissages ont du mal à revenir. C’est normal, le stress engage l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien qui, pour faire court, génère la production d’hormones (entre autres, du cortisol, toujours pour faire court). Le chien entre alors mode « survie ». Son corps se prépare à agir : fuir, attaquer ou se figer. Il n’est plus forcément capable d’utiliser la partie de son cerveau qui gère la raison. En cas de stress, c’est la mémoire émotionnelle et la mémoire procédurale (celle des automatismes) qui prennent le dessus. Si un comportement n’a pas été répété au point de devenir un automatisme, et demande de la réflexion, il ne ressurgira probablement pas en cas de stress.  C’est le cerveau limbique, « primaire », qui prend le relais, et non plus le cortex préfrontal (centre entre autres du raisonnement).

 

Pour revenir à Yopp, bien sûr, nous réussissons la plupart du temps très bien à faire les soins nécessaires. Bien sûr, ça serait 1000 fois pire sans entraînement (et sans doute 1000 fois mieux avec 1000 fois plus d’entraînement !). Mais ce que je veux dire, c’est qu’entre facebook/insta/tictoc et la vraie vie, entre mon salon et le cabinet véto, il y a une marge.

J’en ai vécu un bel exemple ce matin-même. Yopp devait aller faire une prise de sang. Sachant que ça n’est pas facile pour lui, j’ai repris les entraînements quelques jours avant. Il était au top ! Une vraie statue ! Je pouvais le piquer avec mon stylo autant de fois que je voulais.

 

Voici un de ces entraînements en vidéo. Vous remarquez que dès l’entraînement, j’avais anticipé que la prise de sang en coopératif à la jugulaire serait sans doute compliquée, et j’avais aussi entraîné ma solution de secours : à la patte, avec une distraction. C’est beau, non ? Un chien parfaitement immobile ! Confiant ! A tous les coups, si on avait fait la prise de sang dans mon salon, ça aurait été fingers in the nose ! Mais voilà, la prise de sang ne se passait pas dans mon salon…

Ca, c’est la version facebook/insta. Et c’est dans mon salon… Quelques jours après, nous voilà arrivés chez le véto. Il tire pour aller dans la salle. Il couine, aboie. Ce fameux mélange d’excitation et de stress. Il se calme assez rapidement, monte de lui-même sur la table avec enthousiasme. Je lui fais prendre la position tête en l’air. Le stress est suffisamment bas pour qu’il s’en souvienne. Il le fait un peu moins bien que chez moi. Il est tendu, mais sa passe. On tond la zone. Nickel. Un chien aboie dans la salle d’à côté et le stress monte un peu.  La véto pique, Yopp veut voir, il bouge, l’aiguille ressort. Avec ma véto, on parle de manière un peu précipitée, notre rythme cardiaque s’accélère, on a peur de galérer. Ca y est, son stress est trop haut pour qu’il puisse reprendre sa posture, qui n’est pas encore devenue un automatisme. On recommence quand même (erreur de notre part), mais cette fois il se débat un peu.

On a vite compris que ça ne serait pas jouable. On passe au plan B et on fait la prise de sang à la patte en l’occupant avec du pâté de fois. Cette fois, ça passe bien, mais vous voyez qu’il n’est pas d’une zénitude absolue. On est sur du stress gérable, mais pas sur de l’absence de stress. Merci encore une fois à ma super véto de toujours prendre le temps !

Heureusement, j’avais prévu les deux types d’entraînements, et le 2e a bien fonctionné. Ca reste quand même un petit échec dans ma tête. Je vais analyser les vidéo et voir ce que je pourrais changer en amont et sur place, pour améliorer la situation. Je ne peux m’empêcher de penser « tout ça pour ça ! ». Je ne me suis pas sentie coupable, mais je me suis sentie penaude, un peu déçue. Et ce sentiment, soit de culpabilité, soit d’êtres « mauvais », je le lis et l’entends très très souvent. Sans doute à cause de nous, les formateurs, qui mettons de superbes vidéo de soins coopératifs, sans forcément préciser que parfois, ça n’est juste pas possible.  Ou en laissant entendre que tout le monde peut le faire, avec tous les chiens, dans TOUS les contextes.

Alors certains d’entre vous ne comprendront pas. Ils me diront « moi je l’entraîne depuis tout petit et du coup il bouge pas ». Certes. Il y a des chiens plus sujets au stress que d’autres. Pour certains chiens, il aura suffi de donner des bonbons pendant 3 séances pour que ça passe.  Pour d’autres, quelques mois d’entraînement auront porté leurs fruits : le niveau de stress sera suffisamment bas pour que le chien puisse encore analyser et réfléchir. D’autres encore sont plus placides, moins sensibles à la douleur, plus confiants, plus optimistes dans la vie, et même sans entraînement, ça passe très bien aussi. Il y a aussi malheureusement beaucoup de chiens qui passent en résignation acquise et ne réagissent plus du tout. On pense qu’ils sont « sages », mais ils ont juste décidé d’arrêter de se battre, persuadés qu’ils vont mourir et que se débattre ne sert plus à rien… Et puis il y a tous ceux, très émotifs, pour qui tel soin, ou tel contexte, passe mieux que tel autre. Et c’est comme ça. Ca n’est pas notre faute. Ca n’est pas leur faute. Nous sommes tous des êtres vivants régis par nos émotions, et loin de la perfection.

Il y a des chiens plus zens que d’autres…

Cet article a pour but de décomplexer les maîtres de chiens émotifs, qui pensent qu’ils ont mal fait, qu’ils sont de mauvais maîtres, parce que leur chien n’est pas facile à soigner chez le vétérinaire, ou même chez eux, alors qu’ils ont essayé. Ceux qui sont persuadés que ne pas recourir au consentement, c’est trahir le chien. (A mon humble avis, trahir le chien, ça serait demander son consentement et ne pas respecter quand il dit non. Quand on sait qu’il va dire non, parce que ça fait trop peur, parce que ça fait trop mal, on ne demande pas… On y va. Avec tout le respect, la douceur et la décomposition dont on est capable. Mais on y va. Parce qu’il faut le faire, parce que c’est pour son bien.)

 

Vous pouvez peut-être penser que si ça ne « marche pas » quand on en a vraiment besoin, à quoi ça sert de les entraîner ? Et bien je suis persuadée que ça serait bien pire sans entraînement. Un entraînement bien fait sert à dédramatiser la situation, à habituer le chien, à établir la confiance, à développer la résilience, à diminuer le stress. Et on l’a bien compris, si on arrive à diminuer suffisamment le stress, au moins dans certaines situations, les apprentissages vont fonctionner. Ca permet de faire déjà tout un tas de soins qui passent bien. En général, après entraînement, il ne reste plus que quelques points noirs. Sans entraînement, le chien ne connaîtrait qu’une seule version des soins, celle qui fait peur, celle qui est obligatoire, celle où le maître du chien est stressé aussi. Avec entraînement, même si sur le moment ça fait peur, il a quelque chose à quoi se raccrocher. Il n’est pas largué dans l’inconnu. Il a déjà vu ça, il s’en remettra plus vite.

Alors on pourra me dire aussi : mais dans les zoos, ils sont capables de faire faire ça à un éléphant, un gorille, une orque ou une hyène avec consentement !

Oui (enfin en tous cas c’est ce qu’on nous montre…), mais dans les zoos, les animaux sont non seulement entraînés quasi-quotidiennement, mais c’est aussi une des seules formes d’entraînement qu’ils reçoivent. Ils sont aussi entraînés dans leur cadre quotidien ou au moins familier (leur enclos ou une cage spéciale qu’ils connaissent très bien. S’ils doivent être transportés chez le véto, ils sont en général endormis). Si Yopp devait faire une prise de sang sur son lieu d’entraînement habituel, donc dans mon salon, ça passerait comme une lettre à la poste. En outre, les animaux ne sont récompensés pratiquement QUE dans ces situations d’entraînement. C’est pour eux une vraie distraction par rapport à leur quotidien un peu monotone.

Et qui entraîne pour de vrai son chien quotidiennement, tout au long de sa vie ? Qui ne fait QUE du medical training comme activité avec son chien ? Et pour qui d’entre nous, le cadre habituel d’entraînement du chien est aussi le cabinet véto ???

 

Alors sans doute qu’on y arriverait tous, avec nos chiens, si nos chiens étaient des animaux de zoos. Mais ce sont nos animaux de compagnie. Nous avons d’autres choses à travailler. D’autres choses parfois plus importantes à entraîner. D’autres choses parfois plus funs à partager. Et le véto reste un endroit spécial, avec des odeurs spéciales, d’autres animaux inconnus qui stressent autour.

Bref, cet article est bien loin d’être un article anti-medical training ou anti-soins coopératifs. Encore une fois, n’allez pas croire que vos efforts ne servent à rien. Bien au contraire ! Le medical training devrait faire partie du package de base que l’on apprend à tout chiot ou chien nouvellement adopté. C’est tellement important !! Mais je tenais aussi à déculpabiliser tous ceux qui se sentent mal parce qu’ils ont dû imposer à leur chien un certain stress pour des soins. C’est la vie. Ca arrive. Ca nous arrive à tous. Si vous êtes des maîtres respectueux, bien sûr que ça vous affecte. Mais dites-vous que tous les chiens ne sont pas capables de mettre leurs émotions de côté pour donner leur consentement à 100 % (pas plus que les humains !).  Certains le sont sans doute plus facilement. Pour d’autres, cela demanderait beaucoup plus d’entraînement. Bon nombre de chiens, même entraînés, ne peuvent pas donner leur consentement en cas de stress. Moi, par exemple, si je me fais kidnapper par des extra-terrestres, j’aurais bien du mal à donner mon consentement pour qu’ils me fassent une prise de sang, même s’ils ont l’air amicaux et me proposent des bonbons… Et même si je le fais facilement chez l’infirmière….

On doit recourir à d’autres méthodes pour soigner certains chiens, dans certains contextes, avec le moins de contraintes émotionnelles possible (c’est ça, les soins vétérinaires low stress). Et si ça n’est pas possible d’enlever tout stress, ça n’est pas grave. Encore une fois. Ca n’est pas votre faute. Ca n’est pas leur faute. Ca n’est pas la faute du vétérinaire (si tout le monde a bien fait sa part du travail, bien sûr). Comme dit souvent Susan Garrett, un chien fait du mieux qu’il peut avec l’entraînement qu’on lui a donné, dans l’environnement qu’on lui impose («  your dog does the best he can with the training you gave him, in the environment you’ve asked him to perform in »). Et pour vous, c’est pareil. Vous faites du mieux que vous pouvez, avec les connaissances que vous avez, dans le contexte qui vous est imposé. Et faire ce qu’on peut, tout ce qu’on peut, c’est déjà énorme et on peut en être fier…