Nous allons parler dans cet article de concepts et d’apprentissages. Vous retrouverez tout un tas de jeux utiles à la fondation de ces bases dans le cours en ligne Duo de Choc, accessible à partir de 3 ou 4 mois
Si vous avez un chiot, voir aussi les articles de blog “Les 3 piliers du chiot bien dans ses pattes”
Pour ceux qui préfèrent l’audio, voici un podcast de cet article. Je vous invite toutefois à aller jeter un oeil aux vidéo ci-dessous, qui illustrent mes propos. Un lien direct vers le podcast, au cas où ça ne marche pas : Parlons peu, parons chien, de Canissimo
Cet article fait suite (7 ans après !) à un article où je m’inquiétais de la course à la performance de plus en plus précoce chez les sportifs, et du coup, chez leurs chiots. Depuis, je ne suis pas sûre que la situation se soit améliorée. On voit toujours des chiots de 3 ou 4 mois qui apprennent à poser leurs pattes sur des pods (ces petits supports à picots conçus pour la proprioception, voir image ci-dessous), à faire le tour d’un plot ou à reculer.
Ne vous méprenez pas, je fais moi-aussi partie de cette mouvance de personnes qui adorent apprendre des trucs à leurs chiens et qui aime mettre des fondations solides et précoces pour les sports (mais il y a une nuance entre 3 mois et 7 mois…). Je pratique plusieurs sports en compétition (Yopp est vice-champion du monde de frisbee freestyle dans sa catégorie, Yéti a été championne de France novice de dog dancing, championne d’Italie de frisbee etc), je comprends donc tout à fait l’importance d’apprendre à un chien à manier ses pattes, à se concentrer, à proposer des solutions. Je suis aussi totalement consciente du lien très fort que cela apporte entre un chien et son humain. Et enfin je comprends parfaitement que ces apprentissages ne sont pas du tout incompatibles avec une vie pleine de balades et de liberté. Je suis simplement inquiète de l’âge où surviennent ces apprentissages et je me questionne sur leur utilité à un si jeune âge.
Pour certains chiens, je pense sincèrement que ça n’est pas un problème. Ce sont des fans de l’apprentissage, ils pourraient travailler non stop même à 4 mois (enfin ils pourraient, mais le devraient-ils ?), mais l’un des soucis est que cela donne à penser que pour devenir champion, il faut savoir faire tous ces trucs entre 2 et 4 mois. Et que si son chien ne le fait pas, il est certainement nul et bête, ou on est certainement nul et bête.
Or, derrière ces images facebook, insta, youtube ou tiktok, on ne sait pas comment vivent ces chiens. Peut-être ont-ils une vie très équilibrée et ne font-ils ces petits jeux qu’une fois par semaine, pendant ces 30 secondes qui se retrouvent sur les réseaux sociaux, et que le reste du temps ils gambadent et explorent. Ou peut-être qu’au contraire, leurs maîtres passent beaucoup de temps pour leur inculquer ça, au détriment d’autres apprentissages plus essentiels à un chiot, ou tout simplement au détriment de sa vie insouciante de gamin ?
Bref, il me semblait judicieux de refaire un point sur les compétences qui sont nécessaires pour un chiot de moins de 5 mois, et celles qui pourraient venir plus tard. Car ne nous leurrons pas, à 3 ans, un chien qui a appris à mettre ses 4 pattes sur des pods à 10 mois le fera aussi bien que celui qui l’a appris à 3 mois… Bien sûr, ces apprentissages sont précieux et plus faciles quand les chiens sont jeunes. Mais entre un apprentissage fait à 4 mois, où le chien a besoin de tout découvrir, et 8 mois ou 1 an, on ne verra pas la différence une fois le chien adulte… (J’ai adopté Yéti à 1 an, elle ne savait rien faire. Elle n’en a pas moins excellé dans toutes les disciplines.)
Je ne parlerai pas ici directement de socialisation, de familiarisation, de découverte de l’environnement, de liberté, car pour moi ce ne sont même pas des apprentissages, mais des éléments qui font partie intégrante de la vie d’un chiot équilibré. Et puisqu’on risque de me poser la question, si je ne devais apprendre que 2 “ordres” à un jeune chien, ça serait “attends” (ne bouge plus tes pattes) et “viens”. Avec ces deux commandes-là, on peut se sortir d’un peu toutes les situations ! Vous remarquerez qu’il n’est nulle part fait mention du fameux “assis”. Vous pouvez lire mon plaidoyer contre le “assis” dans cet article !
Avant de parler d’apprentissages, je voudrais parler de concepts et de compétences. Il y a 3 concepts qui à mes yeux sont essentiels pour un chiot, futur chien de sport ou futur chien de compagnie ++ (j’entends par là un chien amené à suivre ses maîtres en vacances, en rando, en ville comme en montagne, en tente comme dans des hôtels de luxe…) :
- Le concept de calme : le chien doit savoir puiser en lui les ressources pour retrouver un état apaisé et tranquille. Ne pas se laisser embarquer par un environnement stimulant. Cela demande bien sûr un long apprentissage, qui doit commencer tôt et se poursuivre tout au long de la vie du chien.
- Le concept d’engagement/de connexion : le chien baroudeur ou le chien sportif, bien qu’il ait besoin de rester indépendant et de garder son libre-arbitre, doit être capable de s’engager dans une interaction avec son maître le temps d’un jeu/d’un exercice/ d’un passage difficile, sans se laisser distraire excessivement par l’environnement.
- Le concept de confiance : confiance en lui comme confiance en son maître et en « l’univers ». Un chien de sport ou un chien baroudeur a besoin d’avoir vu une variété de situations et d’avoir appris à s’y sentir bien. Il y a bien sûr des natures plus propices que d’autres à cela, mais c’est comme le reste, ça se travaille.
Autour de ces concepts, voici donc une liste de comportements que je pense nécessaires au jeune chien. Pour établir cette liste, je me suis basée sur les propos de Ken Ramirez, célèbre spécialiste de l’apprentissage chez divers animaux et responsable de la prestigieuse Karen Pryor Academy. Ces comportements sont énumérés ici plus ou moins dans l’ordre chronologique, même si l’on sait bien sûr que cela pourra varier
1/ Accepter, puis aimer le renforçateur (bouffe, jouet, voix, caresses, jeux…)
Concepts liés : confiance, connexion
Bien sûr, il y a des chiens plus gourmands que d’autres. Beaucoup de chiots, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’apprécient pas la nourriture de façon innée. Ils mangent, bien sûr, pour se nourrir, mais ne feraient pas d’efforts particuliers pour gagner de la nourriture. On les dit peu gourmands. Mais c’est en réalité souvent qu’ils n’ont pas encore compris la valeur qu’il y avait derrière ces bouts de jambon ou ces croquettes. En effet, donnez 10 pièces de 1 euro à un enfant d’un an. Il les trouvera drôles parce que ça brille et ça fait du bruit, il jouera peut-être avec, puis il s’en désintéressera. Donnez les mêmes pièces à un enfant de 13 ans, il les gardera jalousement, car il a compris que ces bouts de métal sans intérêt peuvent lui rapporter ce qu’il aime. Ainsi, même quand quelque chose n’a pas de valeur en soi, on peut y apporter de la valeur au fil du temps (avec un peu de méthode, bien sûr !). Notre premier objectif avec un petit chiot est donc de lui apprendre à aimer ce qu’on lui donne, à faire d’une récompense un véritable renforcement. Que ce soit un jouet (le même discours que ci-dessus existe avec les jouets), une croquette, un sourire, une parole, une caresse… Le tout doit bien sûr se faire avec intelligence et délicatesse, car il serait facile d’en dégoûter les chiots (notamment pour les caresses !)
2/ Suivre et s’orienter vers son maître
Concepts liés : Engagement, confiance
Comportements/apprentissages associés : rappel, réorientation, suivi en laisse ou sans laisse, proprioception (marcher sur des surfaces inhabituelles), regard par défaut éventuellement
Je n’ai pas besoin de faire de longs discours là-dessus. Suivre son maître et se réorienter vers lui sont une des conditions pour avoir un chien que l’on pourra avoir avec soi dans différents contextes. Le chiot peut apprendre à suivre la main (être leurré à travers un petit parcours) ou à suivre le corps de son humain (on pourra par exemple, en libre, faire des exercices de demi-tour sans prévenir le chiot, et le récompenser quand il se réoriente sur nous. C’est d’autant plus facile que le chiot est jeune). La même chose peut être faite avec une laisse ou une longe, à condition de ne pas s’en servir pour guider le chien (ici on apprend au chien à suivre son maître avec une laisse, et non pas à suivre la laisse) !! Cette compétence est bien sûr essentielle pour un bon rappel et une marche en laisse pas trop désagréable. Dans cette compétence de suivi, j’inclus la réorientation vers le maître : se tourner vers son maître en cas de doute ou de problème. Vous trouverez des jeux de suivi et réorientation dans les cours en ligne Duo de Choc
Sur cette vidéo, Yopp, 5 mois, apprend à me suivre sur un sol “bizarre”. Quand il s’emballe un peu et monte tout seul, je le porte pour descendre, car il est trop jeune pour sauter depuis une hauteur.
3/ Se contrôler en fonction de l’environnement
Concept lié: calme
Compétence associée : « pas toucher » (même si je déteste cette expression), communication avec les autres chiens, communication avec les humains, adapter son énergie/son impulsion en fonction du contexte et des interlocuteurs
Cette notion d’auto-contrôle est bien sûr essentielle chez tous les jeunes chiens, et devra être travaillée pendant des mois ou des années. Je ne m’étendrai pas trop dessus, car je pense que tout le monde ici perçoit bien le concept. Juste une petite précision, quand je parle d’auto-contrôle, je pense qu’il doit s’appliquer à beaucoup de domaines : la nourriture, les jouets, le jeu (ne pas s’exciter de manière excessive si l’on voit qu’en face la réponse n’est pas celle du jeu), le contrôle de l’impulsion en général. On pourra ainsi bien sûr lui apprendre à ne pas se jeter sur la main pour avoir la nourriture ou la balle, le rappeler quand il y va trop fort avec les autres chiens, le calmer quand il s’excite avec les enfants, etc.
Sur cette vidéo Yopp a 5 mois et demi. Le concept de contrôle est en cours d’apprentissage, mais comme vous le voyez déjà bien avancé. On a bien sûr commencé par plus facile, en intérieur, plus calmement.
4/ Stationner (se placer sur une surface donnée et y rester)
Concept lié : calme
Compétences liées : à ta place, attends, reste sur la terrasse, reste dans le coffre etc
On est ici juste au stade au-dessus de l’auto-contrôle, car cette faculté nécessite de l’auto-contrôle, mais avec en plus une notion de frontière à ne pas dépasser. Pour moi (je vous rebats suffisamment les oreilles avec ça) c’est une des compétences clés pour avoir un chien passe-partout. Le fait d’avoir un chien qui sait aller et rester à sa place va vous permettre de l’aider à se calmer et se canaliser dans plein de circonstances : au resto, chez des amis, au bord d’un terrain d’agility, sur un bout de terrasse en attendant qu’une voiture entre dans le jardin, etc… A vous de choisir un support qui vous convient et convient à votre chien. Personnellement, mes chiens savent stationner sur tout et n’importe quoi (une palette, un blouson posé au sol, un « lit pliant » pour chien, une caisse de transport…) mais ils ont une préférence pour les coucouches bien moelleux. Certains chiens préfèrent aussi être directement au sol, vous pouvez alors simplement transporter un carré en bandes de tissu et leur apprendre à rester dans ce carré.
5/ Cibler (toucher un support désigné avec son nez, sa patte, son épaule, son front, sa hanche… Le contact peut être bref et prolongé)
Concepts liés : calme, engagement, confiance
Compétences : touche la main, touche à cible (parfait pour apprendre un en avant, un peu d’indépendance, et plus tard une zone d’agility pourquoi pas), marche au pied, pose ton menton sur une cible (medical training), pose ton épaule sur un tapis (position couchée latérale pour le medical training) etc
Le ciblage est bien sûr une des clés pour les futurs apprentissages de multiples sports. Mais malheureusement, c’est ici que l’on perd souvent les personnes qui ne se destinent pas aux sports et loisirs canins. Et pourtant, si bien sûr cette compétence sera très utile pour les sports, je reste persuadée qu’elle est très utile dans plein de circonstances. Déjà, parce qu’elle ouvre les horizons du chien, le stimule intellectuellement et physiquement (il doit faire preuve de proprioception pour se coordonner) Le touche la main va permettre au chien de se reconcentrer lorsqu’il est distrait ou perturbé, on pourra aussi s’en servir pour tester le niveau de stress du chien (s’il n’est pas capable de toucher la main, on arrête). Lors de soins vétérinaires, le chien peut se servir d’une cible pour dire quand il est ok ou pas pour continuer (on appelle ça l’empowerment : donner le pouvoir au chien de dire stop ou encore). Si l’on décide de se mettre au medical training lorsque son chien a 3 ans et qu’il n’a jamais appris petit à cibler, pas de souci, il y arrivera, mais il faudra d’abord construire et renforcer cette base. Si au contraire il a appris petit, cela fera déjà des années que ce comportement de ciblage sera renforcé et bénéficiera d’une connotation positive. Enfin, un comportement bien acquis de marcher sur une cible pourra vous aider à placer le chien à un endroit précis si besoin, on pourra s’amuser à lui apprendre à fermer les placards en tapant sur un post-it, etc.
Décembre 2017. Yopp, 1 an et demi, utilise son apprentissage précoce du ciblage (qu’il a entamé à 4 ou 5 mois) pour commencer l’apprentissage des zones en agility.
6/ Proposer, être acteur de son apprentissage
Concept lié : engagement
Compétences : tout et n’importe quoi, notion de shaping
Dans cette sixième étape, le chiot va apprendre non pas à être guidé, mais à maîtriser ses récompenses. C’est lui, par son comportement, qui déclenchera ou pas l’arrivée de la récompense. Par exemple, au lieu de le guider vers la cible au sol, on pourrait maintenant jeter la cible au sol pour attirer son attention et voir s’il y va de lui-même. Lorsqu’il y va, il est récompensé. Peu à peu, le chien se rend compte qu’il peut être acteur de son apprentissage. Et lorsqu’on reproduit ce principe sur plusieurs apprentissages, le chien généralise et tout va beaucoup plus vite, car au lieu d’attendre d’être guidé, il va entrer en conversation avec nous (c’est ça ? J’ai bien fait ? Et ça, c’est bon ?). Il passe de passif à actif, d’obéissant à participatif, et la relation entière se voit changée.
Alors bien sûr, on est déjà là dans un certain niveau d’éducation, mais si l’on prend conscience de ça, que l’on ait envie ou non de faire des sports, je peux vous assurer qu’il y a comme une magie qui opère.
Ici, Pocket, 3 mois et demi ou 4 mois, apprend à proposer à aller sur la cible (qu’elle a découverte auparavant). La proposition est tout à fait un jeu que l’on peut commencer très jeune. Le commencer plus tard ne me choquerait cela dit pas du tout !
7/ Etre manipulé (en contrainte et en soins coopératifs)
Concepts liés : calme, confiance
Apprentissages précédents nécessaires : auto-contrôle, ciblage, station, proposition etc)
Pourquoi met-on cette partie essentielle en dernier (sachant que toutes ces étapes peuvent être entamées sur 2 ou 3 mois) ? Tout simplement parce que pour certains chiens, une relation doit se construire avant qu’ils ne se voient imposer des contacts non demandés avec les humains. Ici on ne parle pas du chien qui vient se faire câliner, mais de nous, humain, qui venons au contact du chien (bien sûr, avec modération, en étant attentif à son état émotionnel et à ses envies). On parle là de deux types de contacts : les soins coopératifs (nos apprentissages précédents comme le ciblage, le calme, vont nous aider à mettre en place des sessions de medical training plus abouties avec un chien qui est capable de dire oui ou non) ; mais aussi des contacts non consentis, des légères contraintes, pressions, que le chien devra aussi apprendre à gérer dans sa vie future. Eh oui, tabou extrême, je parle de contacts non consentis ! Certes, mais je fais partie des gens qui vivent dans la vraie vie, et dans la vraie vie, il y a des enfants qui déboulent sur les chiens, des vétérinaires qui doivent agir en urgence, des moments où l’on ne peut pas faire autrement que de porter le chien. Plus on a pu travailler cela dans le calme et la tranquillité avant, plus ces contacts seront supportés. Et pour ça, il doit avoir déjà un bon niveau de confiance et une bonne relation. Là aussi, les étapes précédentes nous aideront.
Sur cette vidéo Yopp a 1 an. Grâce à ses apprentissages précédents (notamment ici le ciblage et la proposition) on peut commencer facilement les soins coopératifs
Nous voilà au bout de liste, à la fois bien longue et bien courte. Bien sûr, tout cela est accompagné d’une découverte du monde, d’une socialisation et d’une familiarisation, de multiples occasions de se servir de son nez, de fouler différentes surfaces etc.
Vous remarquerez que je n’ai pas ici cité d’âge, car tout doit se faire au rythme qui est propre au chien, même si le chien de votre voisin semble bien plus précoce que le vôtre. Une fois qu’on aura checké ces points, et qu’ils seront, sinon acquis (car quelle compétence est définitivement acquise ?), mais en bonne voie, on pourra se « lâcher » sur des comportements plus spécifiques et « utiles » pour nos sports, des tricks, etc.
Il n’est pas question d’âge, ici, mais de maturité. Et l’on se rend compte que les chiens se bonifient sans cesse au fil des mois dans leur finesse d’apprentissage, leur capacité de concentration, leur compréhension de ce drôle d’animal exigeant qu’est l’humain. Alors pas de panique, pas de rush, et surtout pas d’objectifs. A 5 ans, personnes ne verra la différence de compétences entre un chiot monté à 2 mois et un monté à 8 mois. On verra peut-être la différence de comportement général, en revanche, en fonction des premiers apprentissages que l’on a souhaité mettre en place !