Je ne pense pas qu’on puisse trop récompenser, mais on peut mal récompenser. Je parlerai ici uniquement de récompenses gustatives, et non de jouets ou autres possibilités de récompenses.

Y a les “hypo-bonbons”

Certaines personnes ont de la réticence à récompenser leur chien. Encore, les premières fois, pour obtenir un assis, par exemple, ça passe. Mais après deux-trois répétitions, ils s’impatientent et évoquent souvent certaines inquiétudes (légitimes) :

Réponse : c’est vrai que pour certains exercices ou à certaines périodes, on a besoin de récompenser beaucoup. Dans ces cas-là, prévoyez des récompenses peu caloriques et n’hésitez pas à diminuer les rations en conséquence. L’idéal (pour ceux qui utilisent comme récompense l’alimentation quotidienne du chien -croquettes ou barf) est même de préparer la ration du chien à l’avance et de prélever les récompenses de cette ration. Ainsi, il aura toujours la même quantité à la fin.

 

Réponse : c’est pour ça qu’il faut apprendre à diminuer petit à petit les friandises. Mais on ne passera pas de tout à rien. On gardera les friandises tant que le comportement n’est pas bien compris. Une fois qu’il est acquis, on passera en mode aléatoire : le chien ne sera plus récompensé qu’une fois sur deux, une fois sur trois, puis une fois de temps en temps, puis plus du tout ou très rarement pour certains apprentissages.

Le jeu de hasard

Ce “jeu” de l’aléatoire a tendance à fixer le comportement qu’on désire apprendre au chien, car le chien “jouera” toujours pour voir s’il peut gagner ou pas, comme on joue aux “pinces” dans les fêtes foraines, même si on sait qu’on perd souvent.

Petite astuce indispensable, travaillez sans nourriture à la main, que le chien ne sache jamais si une croquette va surgir de votre poche ou non. Les chiens qui ont tendance à ne pas faire ce qu’on leur demande sont ceux qui ont des indices trop évidents : “Croquette à la main, je sais que je vais être récompensé, je fais. Pas de croquette, je sais que je ne serai pas récompensé, je ne fais pas.” Si vous n’avez jamais de croquette à la main, le chien devra faire le pari, et constater que même quand vous ne tenez rien, il peut être récompensé. Pour garder la comparaison des “pinces”, imaginez qu’il y ait des écriteaux sur les machines “ici on gagne à chaque fois” et “ici on ne gagne jamais”. Bon, ben une fois que vous aurez vérifié que les panneaux ne mentent pas, vous aurez vite fait de vous désintéresser de celle où on ne gagne jamais (et aussi, un peu plus tard, de celle où on gagne toujours, parce qu’à la 50e peluche, vous vous lasserez un peu…). Alors que s’il n’y a rien marqué, et que le gain est aléatoire, le pari en lui même devient un jeu très addictif. C’est exactement le même principe pour un chien.

J’ai l’air de plaisanter, là, mais je pense vraiment que certains ont tellement la notion d’obéissance en tête que ça les embête presque que le chien apprenne dans la joie et non dans l’autorité. Devoir et plaisir sont souvent incompatibles dans notre société judéo-chrétienne où il faut enfanter dans la douleur et où la passion populaire a encore des teintes de  Passion philosophique, voire de Passion théologique.  (Ok, instant “terminale littéraire”. Passion vient du grec Pathos : souffrance, supplice. La Passion du Christ, c’est le supplice du Christ. Et au sens classique et philosophique du terme, la passion, c’est la passivité de l’esprit et de la volonté face aux pulsions comme la colère ou la luxure.)

Ces notions entremêlées depuis des millénaire n’ont pu qu’avoir des conséquences sur notre inconscient. Résultat, dans notre société, prendre du plaisir à faire son devoir, c’est encore un peu mal vu. Pas consciemment, bien sûr, mais inconsciemment, ça nous gène un peu, quand même. C’est un peu sale… (la preuve, c’est que tout le monde trouve normal, voire légitime, que quand on fait un métier “Passion”, on gagne très mal sa vie. Déjà qu’on se fait plaisir au quotidien, faut quand même bien qu’on souffre un peu…). Parenthèse “fac de philo” terminée.

Ramené au chien, on veut imposer son autorité, et on veut que le chien obéisse par soumission, dévotion, obligation, “obéissance” (ce mot qui ne veut rien dire, mais qui est sur beaucoup de lèvres)… Mais pas par plaisir… c’est louche. Ou alors si, par plaisir pur, intrinsèque, mais pas par “appât du gain”. C’est là que le bât blesse. Parce qu’un chien ne peut prendre du “plaisir pur et intrinsèque” à s’asseoir sur ordre ou à lâcher un os. Tout comme vous ne prenez pas de plaisir pur à remplir de la paperasse ou à faire votre lit (enfin, pas moi, en tous cas !).

Quand la récompense devient Renforcement

Yéti (ici au GPF d'Obé Rythmée) prend un vrai plaisir à marcher au pied
Yéti (ici au GPF d’Obé Rythmée) prend un vrai plaisir à marcher au pied,

Voilà ce qui se passe dans la tête du chien : au début, bien sûr, il “obéira” par appât du gain. Surtout pour un comportement peu naturel ou qui lui demande beaucoup. Et puis si vous travaillez bien, au fil des mois (je dis bien au fil des mois, et non pas au fil des heures ou des jours), la valeur de la récompense se transférera sur l’action. Bientôt, l’action même, le fait de faire quelque chose avec vous et pour vous deviendra sympa, ou du moins facile et quasi automatique. Même si cette action n’est plus “payée” systématiquement. Parce que ce comportement aura été tellement de fois récompensé qu’il sera associé à quelque chose de chouette et de positif. On appelle cela le “renforcement”. Un comportement récompensé est renforcé, et plus il est récompensé dans le temps (à bon escient), plus il est renforcé.

Soyez poli avec votre chien

On nous demande souvent “jusqu’à quand je devrai lui dire que c’est bien ?” Mais toujours ! Jusqu’à la fin de sa vie ! Pourquoi, c’est si difficile pour vous de dire à votre chien que vous êtes fier de lui ? Je le répète, toujours, jusqu’à la fin de sa vie, il faudra lui montrer qu’on est content de lui. Beaucoup de gens nous disent “il sait s’asseoir, je ne vais pas le récompenser pour ça, c’est normal”.

Alors 1/ non, ce n’est pas “normal” pour un chien de s’asseoir sur ordre et de ne pas se relever quand il veut. C’est un comportement totalement acquis et pas naturel. 2/ même si ça devient facile pour lui, il doit lire notre contentement. C’est juste de la politesse. Soyez poli avec votre chien. Quand quelqu’un m’apporte une boisson, je lui dis “merci”, même si c’était facile pour lui. Et si j’arrête de lui dire merci, il va commencer à me trouver pas très sympa. Alors, si je suis son patron, il continuera à le faire en râlant. Si je suis son amie, il pourrait bien finir par m’envoyer paître. Vous pouvez être le patron et/ou l’ami de votre chien, mais dans les deux cas, ça ne vous empêche pas de reconnaître et encourager la valeur de ses efforts !

Dites-lui quand c'est bien !
Dites-lui quand c’est bien !

Et puis y a les “hyper-bonbons”

Je m’attarderai moins sur les “hyper”, mais certaines personnes récompensent, plutôt que trop souvent, pas au bon moment ; ce qui peut avoir plusieurs conséquences néfastes (le chien ne fait plus rien sans croquettes, le chien est totalement blasé, le chien réclame en permanence…)

Le bon moment

On doit faire attention au timing, lorsqu’on récompense. Récompenser tout, tout le temps, ce n’est plus récompenser, c’est donner de la nourriture. Par exemple, lorsque votre chien apprend à marcher au pied, pourquoi pas lui donner une croquette tous les pas ? Mais un an plus tard, lorsqu’il sait faire, si vous continuez à donner une croquette tous les pas, il va simplement se dire “tiens, de la bouffe gratos”. Le comportement sera sans doute acquis, mais la récompense perdra totalement de son sens (vous pouvez en revanche continuer à récompenser de temps en temps, surtout si le chien a fait un effort particulier).

Le bon endroit

Il faut aussi faire attention à l’endroit où l’on récompense. Si on demande à son chien de se mettre au pied et que l’on récompense quand il est face à soi, il apprendra simplement à venir se placer en face, là où les récompenses tombent. Ca paraît évident, mais la plupart des gens font l’erreur : “au pied” (le chien se met au pied sur quelques pas) “bravo !!!” (le chien repasse en face du maître pour gagner sa récompense, et il la gagne… Sauf qu’il n’est plus au pied ! On lui apprend donc à quitter le pied, et non pas à se mettre au pied.)

De même, continuer à récompenser son chien à la friandise pour un rappel tout simple sans stimulation alors qu’il sait le faire depuis des mois, c’est simplement banaliser la récompense. Attention, ici je parle du quotidien, de la vie de tous les jours, pas d’une séance de travail spécifique où on veut que le chien soit parfaitement affûté, ou d’une situation particulièrement difficile pour le chien. Par exemple, je récompense et je récompenserai sans doute à vie Yéti dans trois contextes :

– Quand elle se retient d’aboyer quand on sonne à la porte

– Quand elle est “sage” si on croise un chien qui lui fait peur ou qu’elle n’aime pas

– Quand elle trouve quelque chose de particulièrement bon à manger et qu’elle le laisse

En conclusion, je dirais qu’il faut à la fois se déculpabiliser de récompenser son chien par de la nourriture, et mieux réfléchir aux occasions où on le fait. Car oui, la nourriture peut-être à double tranchant, et non, ce n’est pas un outil si facile que ça à maîtriser. Il ne faut pas en avoir peur, mais il faut l’apprivoiser et apprendre à l’utiliser.