Désolée, ceci est un article un peu personnel, qui risque d’en lasser plus d’un. Mais je viens de réaliser que ça fait maintenant plus de 10 ans que je suis éducateur canin et je n’en ai même pas fêté l’anniversaire. C’est une occasion comme une autre !
Dans la vie, il y a des gens que l’on croise, que l’on apprécie, que l’on aime ou que l’on déteste. Beaucoup nous influencent et nous changent un peu. Mais peu d’entre eux peuvent se targuer d’avoir vraiment transformé l’existence de quelqu’un. Dans mon cas, deux personnes ont vraiment métamorphosé ma vie, si l’on excepte mes parents, qui, bien plus que de la changer, me l’ont offerte.
Ces deux personnes, ce sont Pampa (il faudrait que je vérifie le sens exact de “personne”, mais pour moi, Pampa est une personne) et Alain Lambert (désolée, Alain, de te ramener au rang d’un chien, mais toi qui sais à quel point Pampa compte pour moi, je pense que tu le prendras comme un compliment !)
Le hasard (ou la Providence) a fait que j’ai rencontré les deux en même temps.
Alain, c’est un petit génie de l’éducation canine, un précurseur, celui qui m’a formée et formatée. Et même si, en 10 ans, on a eu le temps d’évoluer chacun de notre côté, il me reste des bases Lambertiennes qui me colleront toujours à la peau, aux mains et au cortex. Et bien sûr, je n’oublie pas la douce et rassurante Emilie, car quand je dis Alain, je dis aussi Emilie !
Il y a eu un avant et un après Alain. Avant Alain, c’est l’ère glacière : j’étais un peu un hibernatus qui attendait qu’on le libère des glaces. Paradoxalement, j’ai beaucoup aimé cette époque, aussi. J’étais traductrice dans l’audio-visuel (sous-titres, voix off et voice over). Je vivais dans mon monde d’images et de mots, rêvant de l’univers inaccessible du cinéma et du doublage, le touchant du doigt de temps en temps. Je hantais les studios de Dubbing Brothers, déjeunais avec Mel Gibson, Harrison Ford ou Kevin Costner (enfin leurs voix : Jacques Frantz, Richard Darbois et Bernard Lanneau, qu’on cite trop peu); je harcelais mes traducteurs fétiches (Philippe Videcoq, spécialiste de Tim Burton entre autres, Laura Cynober de Friends, Pierre Arson, et bien sûr Jean-Pierre Carrasso, qui fait aussi partie des gens qui ont beaucoup influencé ma vie, et qui m’a laissé être à ses côtés pour le sous-titrage et le doublage de Stalingrad). Mais cette vie avait un revers : entre deux “simu” (c’est quand on va en studio vérifier que les sous-titres collent parfaitement à l’image) j’étais la plupart du temps seule devant mon ordinateur. Pour ce métier-passion, j’avais quitté ma belle ville des frères Lumières pour la Ville Lumière. Paris, mon cauchemar, ma “ville grise”. J’étais assortie aux murs et au temps parisien : terne et blafarde. Une intellectuelle d’intérieur, très indépendante, qui avait parfaitement su maîtriser, voire étouffer, son énergie bouillonnante.
Et puis, il y a eu le dégel. Je pensais qu’il viendrait d’Universal Studios, Disney ou Spielberg, mais il est venu de la SPA. En un mot, y a eu vous, Pampa et Alain. A l’époque, je n’avais pas un rond, encore moins que maintenant, c’est vous dire ! J’étais pendue au téléphone (fixe), attendant le coup de fil qui me proposerait du travail. Mon énergie bouillonnante me rappelant régulièrement à l’ordre, et la crise de l’audiovisuel (avec l’apparition du câble) ayant encore réduit mes maigres revenus, je me décidai à prendre un chien pour m’occuper les jambes et le coeur. Je rappelle au passage qu’un traducteur audiovisuel n’est pas un intermittent du spectacle (contrairement aux comédiens qui vont lire ses textes). Donc, quand il ne travaille pas, il ne gagne pas un sou, mais n’a pas le droit non plus au chômage, car il n’est pas salarié… Des mois à 250 euros, avec 650 euros de loyer, j’en ai connus pas mal… Vive la caf !
Bref, reprendre un chien, c’était mon rêve de gosse jamais assouvi.
Mais pas n’importe comment ! Mes parents n’aimaient pas trop les chiens, j’habitais en pleine ville… En un mot, il fallait que je l’éduque. Avant même de chercher un chien, j’ai donc cherché un éducateur. Et puis j’ai déchanté en voyant les tarifs (à l’époque, 250 euros pour 10 cours, je crois.) Inabordable pour moi. Alors, l’éducateur en question (Alain Vicaire. Coucou, Alain !), m’a indiqué qu’à la SPA, un professionnel donnait 3 cours gratuits si on adoptait un chien là-bas. Ca tombait bien, je n’avais ni les moyens ni l’envie de prendre un chien en élevage !
Et c’est là, après moult péripéties, que j’ai rencontré Pampa (voir la rencontre avec Pampa ici), et Alain par la même occasion.
Comme promis, Alain m’a aidé à choisir et éduquer Pampa, lors de balades collectives au bois de Boulogne. C’était il y a plus de 10 ans, maintenant. C’est là que j’ai entendu mes premiers conseils en éducation canine. Du genre, la première fois que j’ai lâché Pampa, et qu’elle est partie tout droit à travers bois en courant, et que moi, je suis partie derrière en hurlant un nom qu’elle ne connaissait pas : “Lui cours pas après, fais des petits bruits rigolos ! Un chien, ça part vite et ça revient vite” “Ne l’attrape pas, elle doit voir que c’est agréable d’aller vers toi” “un chien, c’est une éponge à émotions”, “et arrête de lui mettre tes mains dans la tronche, les shampoings aux doigts, c’est pas agréable”… Ca vous rappelle quelqu’un ?
Bref, la suite, vous la connaissez. Je suis restée après les 3 cours gratuits et je n’ai plus quitté Alain et Emilie, qui ont fini par me faire travailler pour et avec eux. J’ai repris des couleurs, trouvé de quoi satisfaire à la fois mon cerveau et mes gambettes, gagné un peu plus d’argent, appris à aimer les humains autant que les chiens, tout en continuant les traductions… C’est le début de l’ère moderne.
Ce que j’aimais, avec Alain, c’était sa façon à la fois très intellectuelle et très terre à terre d’aborder les chiens (et les gens). Aristote et Diderot réunis dans la peau d’un paysan vosgien. En plus de maîtriser à la perfection ses techniques, c’est le premier éducateur que j’ai rencontré qui avait vraiment réfléchi profondément à ce qu’il faisait et disait (par la suite, j’en ai vu d’autres, rassurez-vous, mais Alain, ça reste Alain !). Avec lui, quand on parlait chien pendant nos balades (il promenait une dizaine de chiens pendant 5 heures tous les mardis et jeudi), on ne parlait pas chien, on parlait cinétique, sémantique, pédagogie, urbanisme, émotions, sociopsychologie ou psychomotricité. On parlait aussi photo, graphisme et site internet. On se prenait la tête sur les mots, mais pas les grands mots, hein ! Le petits mots plein de sens de tous les jours. Notre credo, ce n’était pas le vocabulaire savant, mais la vulgarisation pointilleuse : la précision et la simplicité au service d’une meilleure compréhension du chien. Dit-on d’un chien qu’il a un fort caractère ou un fort tempérament ? Quel terme trouver pour remplacer le mot “ordre”, qui est trop restrictif ? Dit-on éducatrice canine ou éducatrice canin (car ce n’est pas moi qui suis canine) ? Le maître lambda a-t-il vraiment besoin de connaître le terme de “renforcement” quand la notion d’agréable est bien plus compréhensible dans un premier temps ? Mais alors, vaut-il mieux parler d’agréable ou de confort ? Ad lib !
Et c’est aussi grâce à lui que j’ai pu revenir travailler sur Lyon, car il m’a initiée à la collaboration avec les villes. En fait, c’est lui qui a tout inventé : les ateliers d’éducation gratuits, les balades canines, les modules avec les enfants… Vous le constaterez sur son site internet (dès le début il a crée lui même ses sites en langage html, et m’a encouragé à faire de même) www.preventioncanine.com
Bref, Alain, ça a été mes racines canines. Après, j’ai fait pousser mes propres branches, développé mes propres capacités, théories et techniques, pendant qu’il continuait à réfléchir et évoluer de son côté.
On ne se voit jamais, on se parle rarement, la plupart du temps pour discuter d’une méthode ou d’une définition. Mais à chaque fois, c’est un plaisir fou de l’avoir au téléphone. Il ne se présente même pas d’ailleurs, tellement sa voix est gravée dans mon oreille.
– Allô ?
– Ouais, Yaya. Dis-moi, comment tu définirais le clicker ? Mais une définition simple, hein, pas un truc alambiqué que personne ne comprend !
Merci, Alain, d’avoir changé ma vie, de m’avoir permis de passer 3 années fantastiques à tes côtés, et de m’avoir laissé quitter le nid quand j’ai eu besoin de voler de mes propres ailes !