Le mot du jour : Savoir perdre du temps pour gagner du temps…
Dans le dernier article, j’évoquais l’importance de prendre tout son temps et de persévérer lorsqu’on apprend quelque chose à son chien ou à son chiot.
Aujourd’hui, on va parler des apprentissages complexes (enchaînements d’actions), qui demandent encore plus de patience et de rigueur.
Partons d’une situation classique : apprendre à son chien à faire de l’agility. La plupart du temps, sous prétexte que le chien sait sauter dans la nature et que
l’agility est un jeu et non un ordre, le maître pense que son toutou saura facilement franchir un obstacle d’agility. Mon premier cours d’agility de l’année est donc rempli de maîtres qui se
mettent à courir joyeusement à côté de l’obstacle en gesticulant et en criant “saute” ! Et le chien est ravi ! Il court lui aussi joyeusement après son maître, en lui sautant dessus et en évitant
l’obstacle !
“Ben pourtant, en balade, il le fait bien !”. Oui, mais entre sauter naturellement et sauter sur ordre, il y a une nuance (de même, ce n’est pas parce que votre
chien sait se coucher de lui-même qu’il saura ou voudra le faire quand vous le lui demanderez). Et puis en balade, l’obstacle se trouve souvent entre le maître et le chien, il n’a donc pas
d’autre choix que de le sauter. Lorsqu’on s’amuse à faire sauter des troncs d’arbre à son chien, par exemple, soit on saute le tronc avec le chien (qui se contente de nous suivre et saute
naturellement ce qui se trouve entre lui et nous), soit on l’appelle en face pour qu’il saute, encore une fois, ce qui se trouve entre lui et nous. Ou alors, on rase l’obstacle en courant et il
n’a pas la possibilité de l’éviter.
Pampa saute le banc qui se trouve entre elle et moi. Elle ne se pose pas de question, car c’est le moyen le plus court de me rejoindre. Situation très différente d’un saut d’agility où on se
trouve à côté de la barre.
En agility, il y a la plupart du temps un large “chandelier” (montant) qui tient la barre et se trouve entre l’obstacle et le maître. Le chien doit alors se
détacher du maître et faire un détour pour sauter la barre. : il ne comprend plus ce qu’on lui demande. Il faut un vrai apprentissage pour que le chien comprenne que même si on passe à côté, lui
doit rester de l’autre côté pour sauter la barre.
Voici un obstacle d’agility classique. Pampa doit s’écarter de moi pour aller toute seule prendre la barre. Les chandeliers m’empêchent de raser la
barre.
Lorsqu’enfin, le chien a compris ce qu’on attend de lui sur la première barre, il a ensuite beaucoup de mal à reproduire la même action sur la deuxième, car il se
laisse entraîner dans le sillage son maître et recommence à lui courir après en évitant l’obstacle. Là encore, le chien n’avait pas vraiment assimilé l’ordre “saute”, il avait simplement compris
qu’il fallait sauter la première barre, pas TOUTES les barres ! Cette incompréhension est en général renforcée par le maître débutant, qui a une trajectoire zigzagante, des gestes désordonnées,
et qui croit que le chien a compris, donc se remet à courir comme un dératé. Comme quoi, il n’y a pas que le chien qui peut être long à la détente !
En bref, ne surestimez pas votre chien, prenez-le par la main pour lui expliquer clairement ce que vous attendez de lui. Il ne peut pas le deviner tout seul. C’est
un peu de temps de perdu pour beaucoup de temps et de stress de gagné.
Cela m’amène à parler des enchaînements d’actions.
Souvent, on perçoit un apprentissage comme une seule action. On se dit “tiens, je vais lui apprendre à rapporter la balle”, et on se fixe comme objectif “rapporter
la balle”. Or, ce qu’on avait perçu comme une action (“rapporter la balle”), est en fait un apprentissage complexe composé d’un enchaînement d’actions :
1- courir vers une balle
2- prendre une balle dans la gueule
3- marcher avec une balle dans la gueule
4- marcher vers son maître avec une balle dans la gueule
5- lâcher une balle sur ordre
Pour bien apprendre à rapporter à un chien qui ne le fait pas naturellement, il faut donc faire un apprentissage différencié de toutes ces étapes.
Voici un exemple concret en vidéo. J’ai vu sur internet un petit chien qui enlevait les chaussures et les chaussettes de son maître. J’ai trouvé ça rigolo et je me
suis mis en tête de faire la même chose. Voici le résultat.
Cela m’a pris une quinzaine de minutes (10 minutes un jour, 5 minutes le lendemain) pour le leur apprendre. Mais attention, bien qu’elles savent déjà porter des
objets et tirer sur des ficelles, je ne me suis pas dit : “tiens, je vais mettre une chaussette, l’agiter sous le nez des chiennes, et elles vont la tirer”. Elles n’auraient jamais compris du
premier coup et l’apprentissage aurait été laborieux et stressant, or le but de l’opération est avant tout de s’amuser ! Je me suis donc fait mon petit plan de route en décomposant toutes les
étapes à leur apprendre . Cet apprentissage complexe se transforme donc en de multiples petits jeux faciles. On augmente la difficulté de manière tellement graduelle que le chien ne s’en rend pas
compte : toucher la chaussette dans ma main, saisir la chaussette dans ma main, tirer la chaussette dans ma main, toucher la chaussette sur mon pied… Pour mieux vous expliquer, j’ai filmé
toutes les étapes. Vous verrez que je n’hésite pas à faire des retours en arrière ou modifier mon plan de départ (matériel pas adapté…). Restez bien jusqu’au bout pour voir l’importance de la
généralisation dans un apprentissage (je m’explique après).
Quelles leçons tirer de cette vidéo ?
– Un apprentissage décomposé en actions simples que le chien sait faire, c’est un apprentissage rapide et sans stress. Il faut savoir perdre du temps pour gagner du
temps !
– Ne croyez pas qu’un chien a compris quelque chose parce qu’il l’a fait 5 ou 10 fois. Souvent, vous changez une donnée et tout est à refaire, car le chien ne
généralise pas tout de suite ce qu’on lui demande. Il associe les exercices à un contexte précis et se trouve perdu lorsque le contexte change (ça fera l’objet d’un prochain article).
Pour info, le lendemain, Pampa a compris le coup de tirer la chaussette quand je suis assise. Il suffisait de redécomposer, et en 2 minutes, c’était
fait.
Et n’oubliez pas, lorsqu’on butte sur un apprentissage et qu’on n’avance plus, rien de tel que de faire une pause de quelques jorus, quelques semaines ou même
quelques mois. Vous verrez, souvent, la situation se débloque d’elle-même avec le temps (j’ai mis 5 ans à apprendre à Pampa à faire le “salut” !)