Depuis quelque temps, je m’inquiète du nombre de jeunes chiens qui sont de plus en plus difficiles sur les récompenses “gustatives”. Je ne parle pas ici des chiens qui ne sont pas gourmands à la base, mais au contraire, des chiots qui étaient à l’origine très gourmands et qui se lassent progressivement des friandises, jusqu’à obliger les maîtres à une escalade culinaire (à cinq mois, on en est déjà au gruyère, puis à la saucisse, puis au foie séché, puis au caviar à la sauce aux morilles…). Attention, je ne dis pas qu’il ne faut pas utiliser de récompenses “appétantes”, comme des cubes de jambon, gruyère ou autres. Je conseille même fréquemment à certains maîtres d’y avoir recours, car certains chiens en ont vraiment besoin, mais je me dis juste que pour d’autres, cette escalade ne serait peut-être pas nécessaire si le problème avait été pris différemment à la base.

Pas assez bon, ton gâteau d’anniversaire, Yéti ?

Contrairement à ce que suggère la photo ci-dessus, je précise, pour ceux qui ne connaissent pas mes chiennes, qu’en matière de récompenses gustatives, j’utilise quasi-exclusivement la “pauvre croquette” de tous les jours, dont elles sont toujours pas lassées. Non pas que je sois contre les autres récompenses, mais puisqu’elles apprécient celles-là, qui ont l’avantage de ne pas déséquilibrer leur ration quotidienne, pourquoi m’en priver ?  Est-ce que ça vient de leur histoire passée, de leur caractère, de leur mode d’éducation ou de la façon dont je vis avec elles, je n’en sais rien, mais le résultat est là… Peut-être que ça ne veut rien dire, et j’en tirerai des conclusions lorsque j’en serai à mon 6 ou 7e chien…

Après en avoir discuté avec Camille (Camille, c’est la future numéro 2 de Canissimo, pour ceux qui ne la connaissent pas), qui est elle aussi passée au début de son apprentissage avec Cerise par la phase “escalade” (alors qu’elle avait une chienne gourmande), nous sommes arrivées à cette conclusion : le recours systématique à la friandise est, certes, pratique, mais inhibiteur. Pas inhibiteur pour le chien, mais pour le maître. Ce que je veux dire par là, c’est qu’en récompensant leur chien par une friandise, certains maîtres se sentent dispensés d’exprimer leur joie ou de jouer avec leur chien. Un petit “c’est bien”, un bout de jambon, et l’affaire est dans le sac. Le jambon n’est donc pas “chargé” positivement : il n’est pas ou peu associé au contentement du maître (et vice-versa… Ca devient compliqué !). C’est du jambon. C’est bon, mais c’est tout. Ca peut vite devenir lassant par rapport à d’autres stimuli (chiens, lapins, joggers…) ; il faut vite passer à mieux, d’où l’escalade… Et quel est le rôle du maître, là-dedans ? Ben, distributeur de jambon… Le chien se récompenserait (et se lasserait) de la même façon avec un distributeur automatique.

Alors voilà, les friandises, c’est bien pour augmenter la concentration du chien, c’est même indispensable lorsqu’on commence à faire des choses un peu plus précises et compliquées, ou lorsque le chien a vraiment besoin de motivation, mais c’est comme toutes les armes : ça finit par s’émousser si on les utilise trop et surtout si on ne les entretient pas correctement.

Je pense donc que je vais légèrement changer ma manière de “façonner” les maîtres et leurs chiots. Plutôt que de les éduquer dans le culte de la friandise, je vais revenir à mes bases à moi, celles qu’on m’a enseignées au tout début, et que j’utilise toujours avec mes chiennes : le jeu et le gagatisme (aussi appelé à son stade extrême “gogol attitude”, ou “gogolitude”). Ce qui n’empêche pas l’utilisation de la friandise ! L’apprentissage du jeu et de l’enthousiasme va (re)devenir obligatoire à Canissimo ! Car je précise que dans les temps lointains où nous travaillions sans friandises, cet enthousiasme était notre seul moyen de récompense, et nous étions bien obligés de l’enseigner (voire de l’imposer) aux maîtres !

A partir de maintenant, je demanderai donc aux maîtres d’associer systématiquement la friandise à quelque chose d’actif de leur part : une partie de jeu, une “vraie” félicitation enthousiaste et communicative (sans pour autant soûler leur chien et leur faire un gros shampoing aux doigts pas très agréable). Ceci implique d’apprendre aux maîtres à jouer correctement, car il faut bien l’avouer, beaucoup d’entre eux ne savent pas utiliser le jeu comme récompense.

Voici tout d’abord quelques règles à propos des récompenses (je ne reparlerai pas ici de l’importance cruciale du timing, que j’ai déjà mentionnée à plusieurs reprises) :

Sélectionner l’intensité de la récompense

Toute récompense doit être justement dosée. Si l’attrait de la récompense est trop forte (balle pouic pouic préférée sous les yeux, ou pâté de foie en tube sous le nez), elle empêchera le chien de se concentrer, et le rendra totalement inattentif ou surexcité. Si, au contraire, elle est trop faible ou mal à propos (jouet qui ne plaît que moyennement au chien, “shampoing aux doigts” ou croquette insipide), vous aurez aussi du mal à concentrer votre chien, qui préférera sans doute aller voir ailleurs. L’intensité d’une récompense est purement individuelle, elle dépend du chien et du contexte (une croquette peut être suffisante à la maison, alors qu’en présence d’autres chiens, il faudra sortir le gruyère, par exemple)

Pas terrible, comme récompense, dit Bacchus… (photo Bouilles de Poils)

Alors que pour Pampa, tout est bon à prendre !

Choisir entre le jeu et la friandise.

Si pour certains exercices, on peut utiliser indifféremment le jeu ou la friandise comme récompense (à la fin d’un parcours d’agility, pour l’apprentissage d’une figure d’obé-rythmée ou d’une session d’obéissance sportive…), il faut être conscient des différences entre ces deux types de récompense.

– Le jeu va provoquer une excitation chez le chien (nous verrons dans le prochain article comment contrôler ce jeu afin de l’utiliser en récompense) et demandera forcément un laps de temps plus long avant le retour au travail. On l’utilisera donc plus volontiers pour les exercices qui demandent de l’enthousiasme et du mouvement (apprentissage du slalom ou d’une figure de frisbee, par exemple) que pour un exercice de calme et de concentration. Le jeu est aussi parfait pour clôturer une séance de travail et permettre une décharge d’énergie tout en restant connecté avec le maître. En revanche, il ne convient pas lorsque le chien doit enchaîner très vite une série d’action ou une répétition d’action (typiquement, pour le shaping au clicker).

– La friandise justement dosée nuit moins à la concentration, tout en gardant un côté stimulant. Elle convient au contraire très bien pour le shaping (décomposition d’une action en petites étapes, par une série d’essais et d’approximations) ou lorsque l’on doit récompenser son chien plusieurs fois de suite, très rapidement.

Par exemple, pour apprendre la marche au pied, un exercice qui demande de la précision et de la concentration, on utilisera plus volontiers la friandise au cours de l’exercice (ce qui permettra de récompenser tous les x pas), puis on pourra mettre fin à la séance par du jeu.

Rester le Grand Manitou de la récompense

Enfin, la récompense ne doit jamais occulter le maître, ni devenir plus importante que lui. Le chien doit avoir conscience que c’est vous le responsable des récompenses, et que vous n’êtes pas un simple distributeur ou un lanceur de balle. Pour vérifier/apprendre cela, un exercice simple : tenez la récompense (jouet ou nourriture) à bout de bras, le plus loin possible de votre visage. Au début, le chien fixera votre main. Voyant que l’objet de son désir ne vient pas, il finira par vous jeter un regard (parfois furtif). A ce moment-là, félicitez-le et donnez-lui sa récompense. Au début, cela peut durer assez longtemps… Lorsqu’il vous regardera quasiment à la première seconde, c’est qu’il aura compris que vous êtes au centre de son apprentissage.

La suite de cet article abordera plus en détail l’utilisation du jeu comme récompense, et expliquera comment on peut/devrait apprendre à son chien dès le plus jeune âge à apprécier le jeu (car pour certains chiens adultes délicats ou peu habitués à jouer, il sera très difficile d’utiliser un jouet comme récompense)

En résumé pour cet article :

– la friandise ne doit pas vous dispenser d’exprimer votre joie

– Pensez à varier les récompenses en fonction des besoins et des contextes

– Restez le maître des récompenses

Pampa et son poussin : l’amour tendre…

Merci à Camille, les deux Audrey et Anne-Laure, avec qui j’ai pu avoir des discussion intéressantes et enrichissantes sur ce thème. Merci à Pampa et Yéti de toujours aimer leurs croquettes !