Pour ceux qui ne connaissent pas le contexte, je vais vous le donner de manière très factuelle. Il se vend depuis quelques années des « boutons », appelés aussi « buzzers » sur lesquels l’on peut enregistrer le mot que l’on veut. Les chiens pourront s’en servir pour nous « parler ». Par exemple, le chien appuie sur « sortir », « Jouer », « soif », ou, pour les plus évolués, des descriptions moins terre à terre, comme « content », « au revoir », « mal » etc

Ces boutons sont un peu au cœur d’une « guéguerre », qui à mon avis est fondée sur des a priori et une mauvaise compréhension de la situation

Comme beaucoup, j’ai découvert ces « buzzers » à travers les réseaux sociaux. On y voit des chiens apprendre à appuyer sur un bouton en gagnant une friandise, demander à sortir, demander à jouer, certains ont l’air de « sales gosses » à 4 pattes qui semblent appuyer non-stop pour attirer notre attention. On y voit des chiens dire « I love you Mamma » et on se dit qu’on est tombé bien bas. Comme beaucoup, je n’en pensais pas vraiment de bien, et ce pour plein de raisons. Voici, en langage un peu brut de décoffrage, ce qui se passait dans ma tête

Toutes ces réflexions (un peu hâtives) étaient dues à ce que je voyais sur internet, les réseaux, les boutiques en ligne. On vend des boutons à des gens qui apprennent au chien à appuyer dessus avec une friandise. Ensuite, on va placer ce bouton vers la porte, par exemple, lui demander d’appuyer et bim, on ouvre la porte ! Par simple conditionnement opérant, le chien apprend à appuyer sur tel ou tel bouton pour obtenir une réponse à ses besoins. Plutôt triste, quand on vend de la communication, parce qu’on se demande à quel point ça ne coupe pas la « vraie » communication, justement (celle du chien qui nous regarderait et irait vers la porte, par exemple). Et même si ça peut être pratique, c’est un apprentissage assez classique. Mon chien fait pareil en tirant sur une clochette attachée à la porte du jardin, lorsqu’il a envie de rentrer à la maison et que je ne l’entends pas (ce qui est par ailleurs très utile et plutôt bien pour lui, mais pas du tout révolutionnaire)

Mais ça, c’était avant… A force d’entendre parler de ces buzzers, je suis allée en chercher l’origine, et j’ai lu le livre de Christina Hunger (How Stella learned to talk), qui a popularisé ce système.

Christina Hunger est une orthophoniste, passionnée par tous les aspects du langage, qui aidait les enfants handicapés à s’exprimer à travers une tablette équipée de boutons. Les cryptogrammes ont d’abord des significations simples comme boire, manger, chaud, froid, puis de plus en plus spécifiques (banane, lait…) ou abstraites (triste, maintenant). C’est ce qu’on appelle l’AAC (augmentative and alternative communication)

Un jour, Christina a adopté un chiot, Stella, et a remarqué qu’en grandissant, elle présentait certains des signes qu’un enfant présente lorsqu’il est prêt à parler (ce qu’on appelle des compétence pré-linguistiques)

Et elle a été intriguée par ce phénomène. Et si, pour de vrai, il ne leur manquait que la parole ?

Christina a donc décidé d’utiliser des boutons conçus pour les humains en AAC, où elle a enregistré des mots. Elle n’a pas commencé par « manger » ou « faim », parce qu’elle ne voulait pas que Stella associe l’appui sur un bouton à une friandise, comme s’il s’agissait d’un tour. Elle a commencé par des choses comme sortir, eau…

Et elle n’a pas procédé comme on le ferait pour apprendre à un chien à appuyer sur un bouton pour sortir, mais comme on le ferait pour apprendre à un enfant le mot et le concept de sortir.

 Et ça, concentrez-vous bien, ça fait toute la différence ! Elle n’a pas demandé au chien d’appuyer sur le bouton, puis ouvert la porte (comme je l’ai fait pour mes chiens et la clochette). Elle a simplement répété, à chaque fois qu’elle sortait « sortir », « tu veux sortir ? » « sortir » « on va sortir » en alternant sa voix et l’appui sur un bouton. Après avoir répété ça 5 à 10 fois, elle sortait avec Stella. Sans jamais lui demander d’appuyer. SANS JAMAIS LUI DEMANDER D’APPUYER.

Peu à peu, la chienne a pris conscience de ce bouton qui intéressait tant sa maîtresse. Au bout d’un moment, Christina s’est dirigée vers la porte, elle a dit « sortir ». Et là, avant même que Christina n’appuie sur le bouton, Stella, qui commençait à comprendre le manège, a regardé le bouton et s’en est approchée. Christina, presque surprise, a dit « oui, sortir !» a appuyé sur le bouton, puis a ouvert la porte. Petit à petit, l’idée a fait son chemin dans la tête de Stella, elle a appris (toute seule) comment on pouvait activer ce bouton. Et voyant ensuite les conséquences, elle a compris que ce bouton près de la porte lui permettait de sortir (c’est là qu’en est Yéti sur la vidéo ci-dessous)

Voyez-vous la différence entre

Et

Bien sûr, on est dans du conditionnement. Tout apprentissage est un conditionnement. Apprendre à un enfant que quand il dit gâteau, il aura un gâteau, ou que quand il voit un chien et dit « chien », on est content, c’est aussi du conditionnement… Mais ça n’est pas l’apprentissage d’un tour à la friandise. C’est un apprentissage hautement social par imitation, et avec une intention de communiquer.

Avec ce type d’apprentissage, on passe forcément par une phase où le chien (comme l’enfant) babille beaucoup et demande en permanence des choses. C’est normal, puiqu’on l’a renforcé à ça, et que dans le cas du chien, au début, on a accédé à ses demandes pour une meilleure compréhension. Christina a une réponse très pertinente à ceux qui disent « oui mais mon chien va tout le temps demander de sortir ! » : il suffit, comme avec un enfant, de lui apprendre le « non » ou tout autre mot qui dit qu’on ne peut pas, le « c’est fini » ou tout autre mot pour mettre fin à une action et le « plus tard ». Simple is beautiful !

Donc, rien que ce premier aspect est pour moi essentiel. Comme je vous l’ai dit, mon chien sait sonner un cloche pour rentrer. Il sait aussi appuyer sur un buzzer. Je me suis dit que j’allais donc essayer d’introduire un bouton (juste pour le fun de l’expérience et voir où elle nous mènerait) à la manière de Christina,. Avec les bases de Yopp, ça ne devrait pas être trop compliqué… Eh bien Yopp n’a jamais compris ! Il s’est approché du but, parfois. Il s’est intéressé au bouton par mimétisme, il a appuyé dessus en tentant de deviner si c’est ce que je voulais. Mais il n’est jamais allé jusqu’à exprimer une demande sans que moi je ne sois déjà vers la porte. A sa décharge, j’ai arrêté au bout d’un mois seulement. Sans doute pas assez long pour Yopp. Mais c’est très intéressant, parce que j’aurais pu lui apprendre en 3 séances de 30 secondes à appuyer sur un buzzer pour demander quelque chose. Comme je l’ai fait avec la cloche. Là, c’est différent. Je ne lui apprends rien activement. C’est à lui d’observer, analyser, déduire et comprendre. Comme un enfant qui apprend une langue. Pas comme un chien qui apprend un tour. On est donc déjà dans quelque chose de bien moins « bête » que ce qui se dit sur les réseaux…

Je ne vais pas vous faire un roman, mais Christina a ensuite évolué en proposant à Stella (qui est particulièrement maligne, je dois bien le dire) plusieurs sortes de boutons. D’abord très pratico-pratiques, puis plus abstraits. Ce qui est super, c’est que Christina observait la communication naturelle de Stella et ajoutait des boutons en fonction de ce que la chienne voulait exprimer.

« Promener » s’est vite détaillé en « plage », « parc » ou « voiture », ce qui permettait à la fois à Stella de choisir où elle voulait aller se promener, et à Christina de lui indiquer où on allait se promener (très rassurant pour Stella). Christina pouvait utiliser le bouton ou sa voix, la plupart du temps, les deux. Et la conversation allait dans les deux sens. Si Stella disait « Stella, parc », son humaine pouvait répondre « oui », ou « non, plage », ou encore « plus tard » ou « promener, c’est fini » si elle venait de rentrer.

Elle a ensuite mis des boutons qui permettaient à Stella de s’exprimer vraiment.  Je précise qu’ils permettaient aussi à Christina de communiquer, elle pouvait lui parler en mots simples qui reprenaient les boutons, ou directement via les boutons, ce qui paraissait plus clair pour Stella.

Ainsi, via les buzzers, elles pouvaient toutes les deux

Elle est ensuite allée plus loin, et c’est là que ça m’a vraiment interpellée et fascinée à la fois, en se rendant compte que Stella n’exprimait plus seulement ses envies, besoins et sentiments, mais aussi qu’elle décrivait sa vie. Christina avait du mal à y croire elle-même (et je pense qu’une validation scientifique serait utile). Stella pouvait dire « Christina mange maintenant » quand Christina était à table. « Stella plage eau contente » quand elle revenait d’une baignade à la plage ! Evidemment, cela reste à prouver scientifiquement… Mais on est loin du tour de vieux singe. Si c’est vrai, on permet au chien d’exprimer quelque chose qu’il peut difficilement, voire parfois pas du tout nous faire comprendre autrement. Et le chien semble vraiment aimer ce bavardage (d’autres me diront qu’il veut simplement attirer l’attention. Et c’est peut-être aussi vrai. Mais il pourrait le faire en appuyant sur n’importe quel bouton, pas forcément en utilisant des mots au bon moment dans le bon contexte)

Enfin, le dernier niveau qui m’a époustoufflée est celui où Stella a fini par combiner plusieurs boutons lorsqu’elle n’en avait pas à disposition. Comme « os, froid » pour dire qu’elle voulait un glaçon !

Quand le livre se termine, Stella maîtrise 32 boutons et elle va jusqu’à dire des phrases très complexes comme « “christina-bye-jake-eat-stella-park-later” » (Christina est partie, quand Jack aura fini de manger, stella veut aller au parc).

Quand on dit à Christina que c’est dommage de ne pas laisser le chien s’exprimer avec sa langue “maternelle”, elle répond que l’un n’empêche pas l’autre. Il apprendre juste une deuxième langue.

Voilà, je n’irai pas plus loin, et je vous laisse lire le livre si ça vous intéresse (je n’ai pas d’action dessus ! Mais je vous invite vraiment à le lire plutôt qu’à visionner des vidéo sur youtube, qui sont souvent soit artificielles, soit sans intérêt).

Je voulais simplement prendre un peu la défense de ces buzzers dans cette « guerre des boutons », car souvent, on ne voit que leur utilisation simpliste, le côté commercial, marketing (dont Christina Hunger a malheureusement usé et sans doute abusé). Alors que derrière, si tout cela est vrai (j’attends vraiment qu’un scientifique se penche sur le sujet), il y a un processus incroyable qui démontrerait encore une fois l’intelligence totalement sous-estimée de nos chiens !

Pour la fin de la petite histoire, j’ai laissé tomber les boutons chez moi