Déjà, dans l’intitulé de cette question, on a un petit souci, c’est qu’il n’y a pas vraiment, à ma connaissance, de définition scientifique de ce qu’est une « bonne relation », peut-être encore moins entre un humain et un animal.
Alors je vais me lancer dans un article totalement incomplet, spontané, et tenter de donner une définition très subjective et uniquement issue de mon expérience d’éducatrice et propriétaire de chiens. Sans doute que d’autres personnes en auront une autre vision.
Je vais peut-être commencer par ce que n’est pas forcément « une bonne relation »
Avoir une bonne relation avec son maître, ça n’est pas
- Obéir. Un chien peut obéir dans la peur ou aussi par pure volonté d’obtenir son renforçateur. Yopp « obéira » à toute personne tenant un frisbee ou de la saucisse, par exemple. Sans avoir aucune relation avec cette personne (mais cela montre qu’il est quand même à l’aise avec les inconnus). En revanche, un chien qui ne prête jamais aucun intérêt à ce que dit son maître a peut-être effectivement un souci de relation.
- Faire des câlins. Un chien peut demander des câlins à un total inconnu, par pur intérêt personnel (tout simplement parce qu’il apprécie la présence des humains, apprécie d’être gratouillé…). Et au contraire, un chien qui n’est pas « câlin » n’a pas forcément de problème de relation. Il peut tout simplement être moins tactile qu’un autre et placer sa relation ailleurs.
- Faire la fête/sauter. Certains chiens sautent sur de parfaits inconnus, par plaisir du contact, pour attirer l’attention, ou même parfois par stress (certains chiens ont le stress « qui gigotte »). D’autres, en revanche, peuvent avoir une forte relation à leur maître et ne pas manifester de joie exubérante lorsqu’il passe la porte, pour plein de raisons : parce qu’ils ont appris que ça n’était pas « leur moment » (no dog time, comme dit Susan Garrett), parce qu’il sont suffisamment tranquilles et indépendants pour rester seuls sans paniquer…
- Suivre partout, pleurer quand le maître part. Un chien peut suivre partout son maître parce qu’il est peu sûr de lui, peu indépendant, parce qu’il est curieux, parce qu’il veut le « surveiller ». Un chien sûr de lui et serein ne ressent pas forcément le besoin de suivre son maître « comme un petit chien » dans la maison. En revanche, un hien qui n’aurait absolument aucune envie de suivre ou d’aller vers son maître lorsqu’il s’éloigne vraiment, lorsqu’il l’appelle dans un milieu peu stimulant comme le salon, peut peut-être avoir des soucis de relation (et peut-être pas, encore une fois, ça dépend du contexte)
- Avoir une relation exclusive. Certains chiens adorent leur maître, ont une relation profonde avec lui, mais semblent en surface adorer encore plus leur « tata » qu’ils voient le week-end en balade ou en vacances, par exemple. En réalité, comme un enfant qui ferait plus la fête à sa marraine qu’à sa mère, je ne pense pas que ça soit le signe d’une relation d’attachement profond, mais plutôt une joie de voir quelqu’un qui est associé avec plein de bonnes choses, et que l’on a moins souvent sur les yeux que son humain préféré. Ce qui est rare est cher !
- Regarder tout le temps. Certes, un chien peut dévorer son humain des yeux parce qu’il y est profondément attaché. Mais il peut aussi le faire par insécurité, stress, conditionnement pur (un chien qui ferait toute sa balade en fixant son maître, par exemple, devrait apprendre à s’en détacher un peu et gérer sa propre indépendance)
Je dirais que la relation maître/chien se voit principalement
- A l’intérêt que le chien porte globalement à son humain. Est-ce que quand il parle/quand il bouge, c’est intéressant ? La plupart du temps ? Parfois ? Jamais ??
- A la confiance qu’il accorde à son humain : est-ce que son humain peut mieux le toucher qu’une autre personne ? Evidemment, quand un chien souffre, il est normal qu’il se rebiffe, voire morde, même son “maître chéri”. Mais lorsqu’il ne souffre pas, qu’il a juste un graton dans les poils, son humain est-il plus à même de l’aider qu’un inconnu ? De même, quand il a peur, a-t-il tendance à être rassuré par la présence de son humain ? Encore une fois, on ne parle pas d’une terreur, comme les pétards, l’orage, ou la panique d’un autre chien qui lui fonce dessus. Dans ces cas, même les chiens qui ont une relation solide auront tendance à courir tout droit. Mais lorsqu’il est en légère insécurité, est-ce qu’il prendrait son maître comme repère, ou pas du tout ? Est-ce que la voix de son maître peut l’apaiser, ou pas du tout ? Lorsqu’il a du mal à franchir un passage, un pont, une grille, est-ce que les encouragements de son maître l’aident, ou pas du tout ?
- A l’impact de l’intonation/l’intention du maître. Un chien qui a une forte relation à son maître sera plus sensible à sa joie, mais aussi à sa colère. Alors bien sûr, certains chiens sont juste plus sensibles que d’autres. Mais on voit souvent que là où on se permettait de « hausser le ton » quand le chien avait un an, cinq ans plus tard, un simple froncement de sourcils aura déjà un fort, voire trop fort impact. Tout simplement parce que quand on connaît bien quelqu’un, on lit mieux ses émotions, et on est aussi plus réceptifs et concernés par ce qu’il ressent.
- Au plaisir qu’il prend à accepter ses renforçateurs. La valeur d’une croquette, encore plus d’une caresse, d’un jouet, d’un compliment, dépend en général de la relation que le chien a avec celui qui le donne. C’est normal, nous sommes pareil. Si j’apprécie qu’un ami ou mon conjoint me sert dans ses bras pour me féliciter, j’aurais plutôt tendance à esquiver si un inconnu veut me féliciter d’avoir ramasser la crotte de mon chien en se jetant sur moi bras grands ouverts !
Mais comment construire une relation ?
Tout d’abord, pas de panique, ça n’est pas parce que vous n’arrivez pas à calmer votre chien à la voix lorsqu’il aboie comme un fou ou lorsqu’il tremble de peur que vous avez une mauvaise relation avec lui. Parfois l’émotion est juste trop forte. Mais je pense sincèrement que plus la relation grandit en années, plus elle prend du poids. Donc à la question comment construire une relation forte, ma première réponse serait de laisser le temps au temps. On a une relation plus forte avec un chien de 7 ans qu’avec le même chien à 10 mois, et c’est bien normal !
La relation est aussi le fruit de la somme des expériences vécues avec le chien. Son historique avec vous est-il majoritairement positif ou négatif ? C’est pourquoi, selon moi, il est très important, les premiers mois/années de vie commune, d’être le plus positif possible (dans son attitude, son intonation, sa gestuelle, ses postures, par l’utilisation de renforcements comme la nourriture ou le jeu, par sa bienveillance…).
Si depuis des années, vous alimentez votre compte en banque relationnel en ajoutant 10 euros à chaque interaction positive et en en enlevant 20 à chaque négative (parce que le négatif marque toujours plus que le positif), et que 9 interaction sur 10 avec votre chien sont positives, votre compte finira par être bien plein. Vous pourrez vous permettre de faire un faux pas et perdre 20 euros sur un compte de 2000 euros parce que vous aurez râlé une fois. En revanche, si 1 interaction sur 2 est négative (on râle parce qu’il a volé un torchon, on crie parce qu’il ne revient pas, on le brosse de force, on le caresse alors qu’il n’a pas envie, on le laisse se faire harceler par d’autres chiens dans les parcs, on lui apprend à nager en le jetant dans l’eau, on le presse parce qu’il ne veut pas s’asseoir…), le compte en banque va vite passer en négatif. Et remarquez bien qu’il n’est pas besoin d’être une brute pour ça. Râler en permanence, ne pas respecter les émotions de son chien, lui forcer la main régulièrement, peuvent suffire, même si on utilise des friandises pour le faire s’asseoir ! Et bien que certains chiens soient particulièrement, incroyablement, fantastiquement résilients, forcément, la relation profonde s’en ressentira si nous-mêmes, nous sommes dans un état d’esprit négatif/conquérant/méprisant/exigeant…
Je dirais enfin que pour construire une belle relation, il faut trouver un juste milieu entre l’instauration des règles de vie, qui sont obligatoires lorsque l’on vit en société, et le respect des envies et de la personnalité du chien. Lui donner le plus possible d’occasions de choisir ce qu’il veut faire, prendre en compte ses émotions, besoins et envies lorsqu’on le manipule (d’où l’importance de mettre en place des soins coopératifs ou low stress), respecter le rythme d’évolution qui lui est propre (certains chiens mûrissent plus vite que d’autres), l’accepter comme il est (ça ne veut pas dire ne pas l’éduquer ni l’aider à évoluer, mais accepter sa personnalité), tendre vers le moins de stress possible dans les apprentissages (je ne suis pas sûre de croire en l’apprentissage sans erreur. Mais au moins, respecter la personnalité, le rythme, l’émotion de son chien lors des apprentissages, me semble primordial)
Enfin, et cette partie m’est assez personnelle, puisque plein de gens ne vivent pas comme ça avec leur chien et ont sans doute aussi une bonne relation, je trouve que le fait de « faire des trucs » avec son chien renforce notre lien. Peut-être aussi parce que c’est ce que moi, j’aime faire. Et que si, égoïstement, mon chien participe à mon délire, je vais être plus contente, donc plus positive, donc plus agréable et intéressante pour lui. C’est assez égoïste, tout ça, mais qui a dit que le « je » ne comptait pas dans le « nous ».
Quand je dis faire des choses, ça peut-être toutes sortes d’activités, juste le fait de partager des moments ensemble : du sport, du clicker, de la recherche, des jeux, des parties de chasse communes, des séances de relaxation, des randos, des massages, du medical training… Bref, autre chose que de faire une caresse à 9h, lancer la baballe à 17h, faire un tour de pâté de maison en laisse, et le laisser végéter dans le jardin le reste du temps.
En règle générale, je n’aime pas du tout mettre la faute sur le dos des maîtres, accuser les propriétaires en leur disant que toute la responsabilité est de leur côté, ce qui est d’ailleurs très souvent faux. Mais je dois bien avouer que pour ce qui est de la relation, la plupart des chiens (je dis bien la plupart, pas tous) sont plutôt enclins à se laisser embarquer dans nos délires et à tisser un lien. Et souvent la balle est un peu dans notre camp. Mais je sais bien que rien n’est si facile. Parfois, il est tout simplement très difficile d’accorder deux personnalités. Parce que ce sont bien de deux personnalités, deux individualités, que nous parlons. Un chien peut avoir un tempérament, des envies, des besoins difficiles à accepter pour son maître. Et inversement, le tempérament, les envies, le mode de vie du maître peuvent être compliqués à assumer pour le chien. Mais malgré ça, il faut bien se dire que c’est plutôt nous qui avons les cartes en main. Parce que s’il y en a un des deux qui peut essayer d’évoluer pour que ça colle mieux, c’est bien l’humain… Le chien, souvent, ne nous a pas choisi. Il est lui-même. Il fait ce qu’il peut. C’est à nous de faire en sorte que ça matche. Et je vous assure que c’est possible (la plupart du temps, en tous cas). Ca n’est pas toujours facile. C’est souvent long. On a parfois besoin d’aide. Mais c’est possible.