Dois-je faire stériliser mon chien/ma chienne ? Voilà une question par laquelle on passe tous. Et vous vous en doutez, la réponse ne se résumera pas à oui ou non…

Il y a quelques semaines, j’ai eu l’honneur que le Dr Catherine Escriou (comportementaliste et neurologue à l’école véto de Lyon), me demande d’intervenir pour un partage d’expérience lors d’une journée scientifique sur le thème stérilisation et comportement, organisée par la SEEVAD (société européenne d’éthologie vétérinaire des animaux domestiques) et l’association  le Chien, mon ami.

J’étais un peu surprise, car je ne suis pas une scientifique, je n’ai pas fait de recherches ni de statistiques sur le sujet, je n’avais que mon expérience professionnelle à offrir. En plus des cours collectifs, je gère des balades canines avec et sans maîtres depuis 2004. De 2006 à 2019, dans le cadre du Grand Lyon, c’était même avec des chiens que je ne connais pas, qui n’ont pas forcément une bonne base d’éducation, ne sont même pas forcément sociables. J’avais facilement des groupes 20 ou 25 chiens (parfois plus) et leurs maîtres plus ou moins expérimentés, le tout dans des parcs publics, avec donc des enfants, des poussettes, des vélo, d’autres chiens etc.

Voici une minute de balade canine, pour vous montrer que ça n’est pas si horrible que ça peut paraître.

Mon intervention dans cette conférence visait simplement à dire si je trouvais une différence entre les chiens stérilisés ou pas dans la gestion d’un groupe de chien (La réponse est oui, je trouve personnellement qu’il y a une différence entre un mâle castré et un mâle entier. La réponse induite est non, je ne préconise pas pour autant la stérilisation systématique, encore moins précoce. Tout est une question d’individu et de contexte.)

Bref, cet article ne porte pas sur la gestion des groupes de chiens, mais bien sur la stérilisation et ses conséquences sur la santé et sur le comportement. Attention, je ne veux faire aucune polémique ici. Chacun est libre d’avoir son avis, son retour d’expérience. J’ai mon avis aussi (qui est, en gros « ça dépend »). Mais ça dépend, ça dépasse, et mon avis ne compte pas vraiment. Je précise simplement que j’ai un chien que j’ai décidé de garder entier, même s’il est en permanence confronté à d’autres chiens, et que j’aurais eu de bonnes raisons de le castrer (il est cryptorchide, ce qui veut dire qu’il a une coucougnette qui n’est jamais descendue, et qu’il faut donc retirer car il y a de fortes chances de cancer). A 10 mois, comme beaucoup de mâles, il s’est fait attaquer par surprise par un autre jeune mâle alors qu’on jouait, et on a dû l’opérer pour lui recoudre l’oreille. Le véto m’a alors demandé si on le castrait au passage. Après un bref moment de réflexion (au téléphone, donc 5 secondes) je me suis dit qu’il était trop tôt pour prendre une telle décision, j’ai donc demandé qu’on enlève le testicule qui n’était pas descendu et qu’on laisse celui qui était dehors. Ce qui fait qu’il est mono-couille, mais son taux de testostérone est le même qu’un mâle bicouilles (je vous avais prévenu, je ne suis pas scientifique 😉 ). Pourquoi ai-je voulu le garder entier ? Réponse en fin d’article. Quel suspense !

Pendant longtemps (et encore aujourd’hui), on a préconisé une stérilisation précoce. Principalement pour des raisons de santé (chez la femelle, prévention des risques de cancer de la chaîne mammaire, ou de pyomètre ; chez les mâles, prévention du cancer des testicules ou de la prostate). Mais aussi, chez les mâles, pour des questions de comportement. Les mâles ayant souvent une phase d’adolescence un peu casse-couille (c’est le cas de le dire…), qui se manifeste chez certains par des comportements virant facilement à l’agression (souvent beaucoup de bruit pour rien) ou au harcèlement. Attention, il faut bien faire la différence entre une agression par rivalité mâle/mâle et l’agression par peur, irritation, protection de ressource, qui peut arriver quel que soit le taux d’hormone ! Les jeunes mâles entiers se font eux-mêmes facilement agresser, car ils ont un comportement de gamin avec une odeur de mâle prononcée : le taux de testostérone chez un chien de 10 mois est plus haut que chez un chien adulte. Une telle expérience peut par la suite engendrer de la réactivité par peur, et c’est le cercle vicieux (quel éducateur n’a pas entendu « il s’est fait attaquer quand il était petit et maintenant il déteste les mâles/les huskys/les borders/les épagneuls, etc). Ou alors ce sont eux qui, submergés par leurs hormones, harcèlent les femelles ou les mâles castrés et toisent les autres jeunes mâles… Donc souvent, on disait de leur retirer les bonbons avant qu’ils ne les cassent aux autres ! Mais est-ce si simple que ça ?

Un premier chiffre, juste pour faire un état des lieux :

Merci au Dr Emilie Rosset pour cette diapo

Aux Etats-Unis, on stérilise presque par défaut, alors qu’en Suède, on ne le fait que pour des raisons médicale. Il y a donc bien une question de culture également derrière la stérilisation.

Mise en garde

La conférence durait une journée et couvrait plus de 200 recherches menées dans le monde entier. Je ne vais donc vous en faire qu’un bref résumé, qui manquera forcément de nuances. Attention, comme dans toutes recherches statistiques, nous avons affaire là à des chiffres. C’est comme pour tout. Même si vous avez une chance sur un million ou je ne sais pas combien d’avoir un accident d’avion, ben quand c’est pour votre pomme, c’est du 100 %… Donc, le fait que par exemple un chien ait moins de risques de développer telle ou telle pathologie ne va pas supprimer totalement ce risque, et quand c’est pour vous, là aussi c’est du 100 %.

Lors de la conférence, on a vu plusieurs cas cliniques très intéressants, qui montrent la diversité des situations, et que les statistiques ne sont finalement pas grand-chose face à la « vraie vie »…

Voici les points qui ont le plus attiré mon attention, et que l’on retrouvait dans de nombreuses études.

COMPORTEMENT (conférence du Dr Catherine Escriou, sources, plus de 50 études trouvées sur Pub med – National Library of Medicine)

Il y a finalement eu assez peu de statistiques faites sur l’agressivité mâles/mâles. A part une, qui ne montre pas de différence. Mais là-dessus je me permets d’être sceptique sur ce qu’ils appellent « agressivité », car il suffit d’être le propriétaire d’un jeune mâle pour se rendre compte que dans la vie, on a beaucoup plus de petits soucis de bagarres et de rivalités (même sans gravité) entre deux mâles entiers inconnus qui se rencontrent qu’avec un mâle entier et une femelle ou un mâle entier et un mâle castré (y a qu’à voir le nombre de gens qui nous demandent « c’est un mâle ??? » en balade). Dommage que l’on ait pas pu fouiller plus ce point de vue, qui est une des raisons pour lesquelles les gens font castrer leur chien (à tort ou à raison, car parfois ils ont mal compris l’origine de l’agressivité de leur chien).

SANTE (Dr Emilie Rosset)

Les problèmes de santé sont plus faciles à évaluer que les problèmes de comportement, car ils sont bien moins subjectifs. Ce qui va passer pour de l’agressivité ou de l’agitation pour un maître ou même par une société entière, sera perçu comme normal pour un.e autre. Ce qui apporte une limite aux études par questionnaire…

Ainsi, la stérilisation (surtout pré-pubertaire) réduit les risques de cancers qui sont aujourd’hui faciles à détecter et à soigner, mais favorise d’autres sortes, plus rares, mais plus agressifs et très difficile à soigner.

(ici une illustration de tumeur mammaire, un type de cancer assez fréquent, relativement facile à déceler quand il est encore au stade du “grain de riz”)

Il y avait aussi des études intéressantes sur les implants chimiques (Dr Alain Fontbonne). Quand on réfléchit à faire stériliser un mâle pour une question de comportement, il peut être intéressant de passer par un implant pour voir ce que ça change. Sachant que le risque de l’implant est que pendant 3 ou 4 semaines, au début, on ait une possibilité de comportements « testotéronnés » exacerbés (chevauchements, rivalité avec les mâles, etc), avant un retour à la normale (la normale étant comme le chien serait s’il était castré). L’effet dure 6 mois renouvelables. Cela permet de voir si le comportement du chien serait amélioré ou empiré par une castration. Et l’avantage, si finalement ça ne change rien, voire si ça empire la situation, c’est que c’est réversible, ça ne dure que 6 mois (on peut même l’enlever si on demande de le mettre sous le ventre du chien)

Voici donc un résumé de ce qu’il fallait retenir (ou plus modestement, de ce que j’ai retenu)

En gros, avant de se décider à stériliser un chien ou une chienne, il faut tenir compte de plusieurs paramètres (je ne parle pas de stérilisation curative pour raison de santé, où là il semble qu’il n’y ait pas débat)

Voilà. J’espère que ce résumé vous a permis de vous faire un tableau un peu plus précis des risques et avantages de la stérilisation. Evidemment, comme vous vous en doutiez, tout n’est pas simple et la réponse est « ça dépend ». Evitons simplement les réponses péremptoires du genre « il faut » ou « il ne faut pas ». Il n’y a pas de norme. Intéressons-nous à chaque cas, chaque individu, chaque situation, sans aucun jugement sur les capacités ou volontés des uns ou des autres, pour pouvoir offrir le maximum de nuances dans notre choix.

Alors, fin du suspense, pourquoi ai-je gardé Yopp entier ? Parce que c’est une chochotte (risques de timidité et phobies accrues), parce que c’est un chien de sport (risques orthopédiques), parce que je suis capable de gérer. Est-ce que parfois je râle parce qu’il est au cul d’une femelle ou fait son kéké avec un mâle ? Oui ! Est-ce que je regrette de l’avoir laissé entier ? Pas une seconde (ou alors juste une) ! Est-ce que je le castrerais ou l’aurais castré si c’était ou ça avait été nécessaire ? Oui ! Est-ce que je passerais d’abord par un implant pour savoir si ça change quelque chose ? Oui ! En gros, on réfléchit, on pèse le pour et le contre, et on fait son choix… qui doit nous être personnel, et non pas dicté par une personne tierce.