Il y aurait des centaines de pages à écrire sur ce thème, et des centaines de façons de l’aborder. J’ai choisi un point de vue, mais je reviendrai sans doute à ce sujet dans d’autres articles…

 

Il y a près de 12 ans, je faisais un truc complètement “ouf” avec Pampa. Un truc que personne dans mon entourage n’avait jamais vu, qui faisait s’enthousiasmer les foules. Roulements de tambours…. je la faisais sauter dans mes bras en forme de pneu !!!

Ok, je vois d’ici vos têtes un peu déçues !

Pampa
Pampa fait sa première figure d’obé rythmée, à une époque où l’obé rythmée n’existait pas encore officiellement. Aujourd’hui, ça fait gentilent sourire.

 

Eh oui, parce qu’avant, faire ce genre de choses “de cirque”, c’était totalement incroyable et fantaisiste. Mais maintenant, tout le monde (en tous cas dans le monde du sport canin, élargi aux “simples” adhérents de clubs) fait sauter son chien, lui fait faire des twists, des pirouettes, des slaloms entre les jambes… C’est vraiment le minimum syndical, à l’heure des cours en ligne donnés depuis l’autre bout de la terre par des génies de l’éducation ou du sport canin, à l’heure de facebook et de Youtube…

Il y a une sorte de fuite en avant dans la performance. D’un côté, je trouve ça chouette, parce que je me prends moi-même au jeu et ça me pousse à aller de plus en plus loin dans la créativité, et à réfléchir de plus en plus finement à comment apprendre ci ou ça à mes chiennes et à mes élèves. Et de l’autre, je me demande avec parfois un peu d’inquiétude jusqu’où tout ça ira… Je suis bien consciente que je participe à cette fuite en avant, à la fois en donnant l’exemple et en suivant celui d’autres, plus avancés que moi. Mais beaucoup de passionnés apprennent “des trucs de ouf” à leur chien, de plus en plus tôt, de plus en plus vite…

Est-ce bien ou pas ? Je suis incapable de juger, je ressens juste à la fois une certaine admiration, et une sorte de doute, presque une gène, devant un jeune chien qui sait déjà “tout faire”… Et pourtant, je suis sûre que je ferai partie des gens qui voudront apprendre plein de choses à leur jeune chien !

En général, je pense que c’est une très bonne chose de travailler avec son chien, de peaufiner sa motricité, sa conduite, sa réflexion, de le sortir de son morne quotidien… C’est important pour un chien de compagnie, et même essentiel pour un futur chien de sport : des bases incontournables à ne pas manquer ! Et pourtant, parfois, quand je regarde facebook, j’ai des sueurs froides en voyant à quel point certains chiens avancent vite… Au détriment d’autre chose, peut-être ? Je ne sais pas…

En frisbee, le cas est très révélateur, et pour le coup, là, je trouve ça dérangeant, car tout se fait au détriment des fondations. Voyant des vidéo de joueurs confirmés, voire de champions internationaux, tout le monde se met à vouloir faire des lancers hyper techniques, des figures de dingues, en oubliant que ce qui compte avant tout dans le frisbee, c’est la propreté, la fluidité, la direction, le timing (des lancers bien faits, des frisbees attrapés, un chien bien conduit…). Beaucoup de gens manquent cruellement de bases et voudraient pourtant déjà faire un backvault, un reverse, un lancer incroyablement incroyable, avant même de savoir diriger leur chien ou lancer un frisbee… Prenons l’exemple du footstall (le chien qui monte sur nos pieds alors que nous sommes allongés). Il y a 3 ans, c’était le must, on n’avait quasiment jamais vu ça. Et puis, ça n’a plus suffi. Maintenant, c’est un footstall sur un seul pied, ou le chien qui fait un twist ou le beau sur les pieds, ou, récemment, un chien (border collie) sur chaque pied ! Je trouve que tout ça est un travail magnifique, mais cette progression incessante (à laquelle je participe pourtant) fait un peu peur, non ?

Premiers footstalls de Yéti en 2011. Pas tout à fait fluide !
Premiers essais de footstalls de Yéti, elle a 3 ans.
Yeti footstall
Footstall de Yéti à 5 ans

 

Pour que vous compreniez mon point de vue, prenons l’exemple des apprentissages de mes chiennes

Pampa

– 1,5 an : adoption, premiers apprentissages (assis, couché, viens)
– 2 ans : découverte de l’agility
– 3 ans : premiers “tours” d’obé rythmée
– 3.5 ans : premier concours d’agility
– 5 ans : découverte du clicker, premiers enchaînements d’obé rythmée
– 8 ans : découverte du travail de motricité (ok, trop tard, mais mieux vaut tard que jamais)
– 10 ans : découverte du frisbee
– 12 ans : premier concours de frisbee

 

Yéti (tout s’accélère déjà)

– 1 an : adoption, premiers apprentissages (assis, couché, viens), premiers cours d’agility, première approche du clicker.
– 1.5 ans : premiers tours d’obé rythmée
– 2 ans : découverte du frisbee
– 3 ans : premier concours de frisbee
– 3.5 ans : découverte du travail de motricité (un peu tard, là aussi)
– 5 ans : premier concours d’agility, premier concours d’obé rythmée

Vous voyez déjà une nette accélération entre les apprentissages de mes deux chiennes. Mais c’est bien normal, puisque mes connaissances se sont élargies entre temps, et que je leur en fais profiter.

Mon prochain chien (supposons que ce soit un chiot) : planning envisageable, même si bien sûr, rien n’est prévu à ce point là

– 2 mois : “rappel”, découverte du travail de motricité, découverte de l’objet frisbee, découverte du clicker (je laisse tomber le “assis, couché”, qui viendront tout seuls)
– 3 mois : exercices de direction/suivi du maître
– 5 mois : premières figures d’obé rythmée, première découverte de l’objet frisbee
– 6 mois : initiation à l’agility sans sauts (conduite uniquement)
– 8 mois : premières figures/lancers de frisbee sans sauts, initiation aux zones d’agility
– 12 mois : premiers sauts de frisbee, initiation au slalom et premiers parcours complets d’agility

2 ans : premier concours de frisbee, d’obr, d’agility ???
3 ans : reste-t-il un truc encore plus fou à lui apprendre ???

Il y a vraiment quelque chose de vertigineux  dans ce planning, vous ne trouvez pas ? Ca va trop vite ! Où est le temps de maturation ? Le temps où on apprend à se connaître, sans pression, sans objectif ? Peut-être aussi suis-je déformée par le fait que jusque là, j’ai pris mes chiennes adultes, et donc déjà mûres…

Ce futur chien, est-ce que je saurai le laisser mûrir comme un fruit au soleil sans être tentée de le presser avant l’heure (tout en travaillant les bases essentielles à un bon chien de sport) ? Est-ce que j’accepterai de prendre du retard sur tous ces autres surdoués canins que l’on voit sur facebook, et avec qui on ne doit pas pouvoir s’empêcher de se comparer, si on est un minimum compétiteur, comme moi ? J’espère vraiment que j’arriverai à le prendre, ce temps précieux (et je le veux tellement que je le pourrai, pas ça me demandera un effort de raison…).

Et en même temps, quand je vois les chiens de mes élèves, qui, effectivement, font leur premier concours de frisbee à 1.5 ou 2 ans, enchaînent un joli parcours d’agility à 1.5 ans… je ne suis pas choquée. Ils sont parfaitement épanouis, vifs et heureux de vivre. Ils en savent quasi autant à 3 ans que Yéti à 6 ans. Et quand je vois Miette, la chienne de Camille, 9 mois, parfaitement concentrée et attentive, terriblement agile, ça me fait envie, je me dis au contraire que c’est une très bonne chose de commencer tôt (à condition de faire les choses dans l’ordre, comme l’a fait Camille).

Après, il reste des détails, entre ma chienne qui commence les concours à 5 ans et ceux qui les commencent à 1 an. L’exécution des “jeunes” est sans doute moins propre et la communication moins évidente ? Est-ce ça, le fruit de la maturation ? Là encore, je ne sais pas. Est-ce que ces chiens là, à 5 ans, seront 10 fois plus “performants” que Yéti aujourd’hui ? Mais a-t-on vraiment besoin d’un chien plus “performant” ? Le monde canin nous poussera-t-il vers cette performance extrême, parce qu’untel a fait un truc encore plus dingue que les trucs de dingues des voisins ?

Bref, ceci est juste une réflexion en l’air, qui me trotte dans la tête en ce moment… je vous laisse y penser aussi, et trouver le juste milieu entre une progression légitime et une escalade infernale…