Cela fait longtemps que ce sujet me passionne, mais plusieurs expériences récentes et la rencontre avec Denise Fenzi m’ont convaincues d’écrire un article. Merci à Denise pour son apport sur cette question.

Plus je vois les sports avancer, plus je vois la technique s’affiner et les “tricks” devenir pointus, plus je me dis que c’est bien beau tout ça, mais que pour certaines personnes, derrière ces magnifiques « zones », ces chouettes « backvaults » ou ces superbes « au pied », il manque profondément des bases. Une des phrases qui me frappe et qu’on me dit souvent, c’est « je voudrais faire de l’agility/de l’obé rythmée pour renforcer notre complicité. » Ca part d’une très bonne intention ! Bravo ! C’est vrai que faire un sport ou une activité en général avec son chien, c’est super pour entretenir le lien et le consolider. Mais si je dis « entretenir, consolider », ça veut dire qu’il existe déjà, ce lien ! On ne peut (on ne doit) pas compter sur le sport pour créer du lien.

C’est la relation qui mène au sport, et non le sport qui mène à la relation. Du moins ça le devrait (car malheureusement, on peut créer de la performance avec une relation assez pauvre).

Avant de chercher à faire de l’agility, du frisbee, ou tout autre sport, on devrait réfléchir à une chose : mon chien est-il mon meilleur copain ? Suis-je son meilleur copain ? Est-ce que j’ai envie de faire une activité avec lui ? Et surtout, est-ce que lui, il a envie de faire une activité avec moi ?

Yéti engagement
Yéti : “dis, on joue encore ?”

Je ne parle pas du concept de l’activité : ça, tout le monde est d’accord pour avoir envie d’en faire avec son chien, et vice versa. Je parle de la réalité. Une réalité parfois pleine de contraintes, comme la présence des autres chiens, la gestion des lieux inconnus, la nourriture tombée sur le terrain, les bonnes odeurs de l’herbe ou des crottes de lapin, la météo capricieuse, les bruits trop forts, les gens qui font peur ou sont plus rigolo que le maître… Suis-je assez amie avec mon chien pour qu’il veuille s’engager à tout moment, n’importe où ? Suis-je assez amie avec lui pour qu’il ait envie de jouer au moment où moi, j’ai envie de jouer ? Et suis-je assez amie avec lui pour respecter le fait que parfois, il ne veut pas jouer ?  Ou pas longtemps ? Ah ah, on n’y avait pas pensé, à celle-là, hein ! Et pourtant, c’est celle-là qui est importante !

Voici un exemple humain. Il y a quelques temps, une amie m’a invitée, avec une autre amie, à faire un parcours dans la boue. On est assez barjo et assez amies pour se dire qu’on allait bien rigoler, et partir de bonne humeur dans cette épreuve (sous un temps grisonnant et froid) ! Je ne l’aurais sans doute pas fait avec des inconnus ou des gens que j’apprécie moyennement. Au début, ça n’était pas trop difficile, tout le monde était content et plaisantait, même si on appréhendait un peu à cause du froid. Puis est arrivé un moment qui faisait un peu peur. Franchir des palissades verticales à la force des bras. La première était environs à 1,50 mètres. Pas évident, mais ça passe. Certains y sont arrivés tout seuls, d’autres avec l’aide des amis. Puis arrive la seconde, puis la 3e, qui culminait peut-être à 2,50 mètres (il fallait sauter pour attraper le haut, hisser ses jambes, puis redescendre en se laissant tomber de l’autre côté). Je suis passée avec le soutien physique et psychologique de mes amies. Mais l’une d’elles n’a pas voulu passer la palissade, car c’était trop haut et elle avait peur de tomber de l’autre côté. Nous l’avons encouragée, nous avons proposé de la porter, mais elle a préféré passé à côté. Alors avons-nous insisté ? Avons-nous fait « allez allez allez allez ! » en l’attirant avec un gâteau au chocolat ? L’avons-nous « gentiment » portée malgré elle par-dessus l’obstacle ? Non, nous l’avons laissée faire le tour. Pourquoi ? Parce que c’était notre amie, et qu’on ne voulait pas « forcer » un ami (ou qui que ce soit, d’ailleurs) à s’amuser. Et on a passé une super journée ! On a fini trempées, sales, pleines de bleus et pleurant de rire, en se disant que c’était à refaire !

Qu’aurions-nous fait s’il s’était agi de notre chien ? Aurions-nous été assez amies avec lui pour lui accorder ce répit, cette possibilité de décrocher ? De passer son tour ?

"Parfois, cest juste pas le moment"
“Parfois, c’est juste pas le moment”

Evidemment, ça vous paraît évident, dans cet exemple. On aurait tendance à répondre oui, car il s’agit de peur. Et tout éducateur en « méthodes positives » raisonnable ne forcera pas un chien à monter sur la palissade s’il a peur. Mais qu’en est-il lorsqu’on « force  gentiment » un chien à s’impliquer avec nous sur un parcours d’agility, ou même dans un jeu de tire à la corde, alors que l’environnement est très attractif ? Que se passe-t-il quand, en plein parcours, le chien s’arrête pour aller renifler le juge ? (parce qu’il fait peur, ou parce qu’il est rigolo). Que se passe-t-il quand, à l’entraînement, le chien voudrait aller renifler une crotte de lapin avant de franchir le premier obstacle ? Est-ce qu’on va le « contraindre » par des encouragements “symapthiques”, le prendre en otage à grand coup de saucisses ? Sera-t-on assez ami avec son chien pour respecter le fait qu’il n’est pas toujours à fond dès la première seconde, et lui laisser le temps d’aller voir ce juge, d’aller renifler cette crotte ?

(Attention, on ne parle pas ici d’un apprentissage qui n’aurait pas été fait à la base, sur la capacité d’auto-contrôle du chien. On parle d’un chien qui sait se contrôler, qui a compris ce qu’on lui demande, mais qui a cependant une envie/un besoin d’aller voir quelque chose qui l’intrigue ou l’inquiète.)

Je ne suis pas en train de vous dire qu’il faut habituer vos chiens à divaguer au milieu d’un parcours, ou le laisser se déconcentrer à la première occasion. Il faut peut-être réfléchir à comment devenir le meilleur ami de votre chien en dehors du parcours, pour qu’il s’implique, qu’il n’ait tout simplement pas très envie d’aller voir ce juge ou cette crotte, parce que c‘est l’heure de jouer avec vous, et qu’il sait qu’au pire, s’il veut aller le voir, il peut ! Si vous avez fait cette démarche, vous pouvez être sûr qu’il ne vous laissera pas tomber pour rien. Et s’il vous laisse tomber, c’est sans doute que c’était important pour lui, car en réalité, il s’implique avec vous parce qu’il AIME ca, pas parce qu’il y est forcé !

Alors voilà, c’est bien joli, tout ça, mais comment qu’on fait ? On rêve tous d’être super pote avec son chien, et bien sûr je n’ai pas de recette magique à vous proposer. C’est terriblement compliqué, tout ça, et pour certains duo, ça peut prendre des années. Juste deux petites suggestions, parmi tant d’autres.

– Le jeu mano a mano

L’une des premières choses à faire est de rendre votre chien accro à vous. Mais à vous, pas à vos bonbons ou à vos jouets (même si, pour ça, il faudra peut-être – et sans doute- passer par des moments bonbon/jouet. Vous voyez la nuance ?). Posez-vous la question : êtes-vous capable de jouer avec votre chien sans jouet, sans bonbon ? Si vous me répondez que votre chien n’aime pas jouer, je pense que vous n’avez peut-être simplement pas trouvé la façon de jouer avec lui, ou qu’il est encore trop tôt, que la confiance n’est pas établie (si vous avez récupéré un chien qui a un passé difficile, par exemple). Jouer ne veut pas dire être une grosse brute exubérante.
Si je pars en rigolant comme une furie ou que je joue à la bagarre avec un chien timide, bien sûr qu’il ne participera pas. Peut-être qu’avec un chien timide, je vais simplement faire de petits gestes, des petites « tapes » sans vraiment le toucher, suivies de fausses fuites sur 20 cm sans grandes effusions, ne pas l’approcher frontalement. Ou partir de caresses qui deviendraient plus dynamiques, des regards plus vifs, ou simplement battre des mains doucement en l’air, invitant le chien à ouvrir la gueule ou se mettre sur le dos pour battre lui aussi des pattes…

Voici un exemple de jeu avec Pampa, qui est plutôt une chienne timide. Sur cette vidéo, elle avait 14 ans, était gravement malade et allait nous quitter pour toujours quelques semaines après. Elle ne jouait pas longtemps, elle décidait du moment où ça finissait. Mais les quelques secondes passées à jouer étaient du pur bonheur.

Avec un autre chien, je vais partir en courant ; avec un autre, « l’attaquer frontalement puis fuir » ; avec un autre, faire semblant de lui attraper les pattes ;avec un autre, encore, le laisser me sauter dessus, et avec un autre, et avec un autre, et avec un autre… Chaque duo a sa recette . A vous de trouver le meilleur assaisonnement !

Bref, une petite séance de jeu impromptue, c’est fou ce que ça resserre les liens ! Essayez pour voir ! Dans un endroit tranquille d’abord, à l’intérieur, sans autres stimulations, sans autres chiens. Puis vous pourrez tenter dehors.

Voici comment je joue avec Yopp. Vous remarquerez qu’il peut jouer beaucoup plus longtemps. Il aime me courir après, se mettre dans mes jambes et faire semblant de m’attraper le pantalon en aboyant comme un fou. Regardez jusqu’au bout (même si c’est un peu long), je fais un petit exercice où je passe du jeu “en attente” au jeu “excitation” et au jeu “travail” (au pied, puis twist) sans vraiment de transition, juste par ma posture et mon attitude. Je fais des petitse pauses pour savoir s’il est toujours engagé avec moi ou s’il préfère arrêter. Nous sommes vraiment impliqués dans une conversation.

– Entrer dans une conversation

L’autre suggestion est de faire comme si, quand vous voulez “travailler” avec votre chien, vous vous adressiez pour de vrai à un ami humain. Lors d’une interaction avec un être humain, quand on est dans un cadre de loisir ou relax, si vous sentez que l’autre regarde autour, perd de la concentration, vous ne lui direz sans doute pas « hé regarde-moi quand je te parle ! ». Si on est un fin communicateur, on va peut-être arrêter de parler, s’intéresser à ce que la personne regarde, et on reprendra la conversation plus tard. Pourquoi ne le ferions-nous pas avec notre chien ? Le sport est-il autre chose qu’un jeu ? Et le jeu est-il du travail ? Le chien est-il OBLIGE de jouer ? Si le chien SAIT, mais sait au plus profond de lui, que s’il a besoin de faire une pause, il le pourra, il aura beaucoup moins tendance à chercher à en faire par lui-même. En l’autorisant à se déconnecter, on obtiendra au contraire un chien plus connecté, car en confiance.

Alors pensez à faire des pauses, si possible, avant que votre chien en ait besoin. Pensez à lui montrer l’environnement dans lequel il sera amené à jouer avec vous, à le laisser explorer avant de lui demander de s’engager. Pensez à l’observer. S’il décroche, respectez ce petit temps, accompagnez-le pendant sa pause si vous le souhaitez, puis attendez de voir quand il est prêt à reprendre. S’il a tendance à partir explorer plus loin, vous pouvez le mettre en laisse et attendre qu’il s’ennuie et se réengage dans votre conversation. Et s’il ne se ré-engage jamais, c’est sans doute que le contexte est encore trop compliqué pour lui à gérer. Et en tant qu’ami, vous allez comprendre et respecter ça, n’est-ce pas ?

Quand vous êtes engagés dans un dialogue, une conversation avec votre chien, ce n’est pas forcément vous qui tenez le crachoir. Dans un dialogue, chacun doit tenir compte de la dynamique de l’autre.

Yopp me demande clairement de continuer !
Yopp me demande clairement de continuer !

Il y aurait encore tant à dire sur le sujet, mais je vais m’arrêter là. Je ne suis pas là en train de vous dire qu’il faut laisser votre chien se barrer à tout moment, et de faire l’apologie de la déconcentration. Mais j’essaye simplement de vous faire comprendre qu’on attend parfois beaucoup de nos chiens. Et que c’est sans doute en en attendant moins qu’on en obtiendra plus…